Même si le dictateur s'habille en démocratie de soie...
... En dictateur reste. Le satrap qui a dirigé le Belarus pendant plus de deux décennies n'était pas prêt à abandonner le pouvoir, d'autant plus qu'en plus de se perpétuer au pouvoir, il prétend de plus en plus que le jour de son absence, son fils lui succédera à la présidence. Il n'est pas le premier à nourrir l'intention d'instaurer une dictature communiste héréditaire. Les exemples de la Corée du Nord et de Cuba le prouvent.
Les dernières élections semblent montrer, encore plus que les précédentes si possible, qu'Alexandre Loukachenko n'a pas l'intention de renoncer au pouvoir, et qu'il est prêt à tout pour le conserver. Au lendemain des élections précédentes, l'Union européenne a fait sienne l'idée de convertir l'homme surnommé "le dernier dictateur d'Europe" aux valeurs démocratiques. Sous la pression de la Russie de Vladimir Poutine, Loukachenko a tenté de jouer le jeu de l'équidistance : il a libéré des prisonniers politiques, obtenu de l'UE la levée des sanctions et a même obtenu de Bruxelles une aide financière de 30 millions d'euros par an. Les pays voisins, en particulier la Pologne et les pays baltes, pensaient que Loukachenko pourrait devenir une digue contre une Russie qu'ils craignaient d'être un jour tentés de les envahir à nouveau et de les soumettre à leur emprise de fer. Les États-Unis de Donald Trump en sont venus à partager ce point de vue, considérant ainsi le Belarus comme un État tampon entre la zone d'influence de l'OTAN et celle de la Russie.
Toute cette construction géopolitique s'est effondrée avec les dernières élections présidentielles du 9 août. Loukachenko est revenu à son habitude, à savoir la répression brutale de ceux qui osent s'opposer à lui. Tous les candidats qui pouvaient le suivre ont été emprisonnés et la Sécurité d'Etat (le Belarus est le seul pays ex-soviétique qui conserve le redoutable acronyme KGB) est devenue plus présente et menaçante que jamais.
Le dictateur de Minsk a cependant minimisé la capacité d'une candidate de dernière minute, l'ancienne professeur d'anglais Svetlana Tijanóskaya, à remplacer son mari, le célèbre blogueur Sergei Tijanovski, qui a été emprisonné avec d'autres dirigeants de l'opposition. Depuis un quart de siècle que Loukachenko exerce son autoritarisme, jamais auparavant des rassemblements et des manifestations aussi massifs n'avaient eu lieu à la fois dans la capitale, Minsk, et dans les principales provinces du pays pour acclamer le candidat, qui était également soutenu par deux autres femmes, Veronika Tsepkalo et Maria Kolesnikova, qui étaient liées à d'autres candidats ayant également obtenu le veto de Loukachenko. Tijanóskaya et Tsepkalo ont tous deux fui le Belarus pour se réfugier en Lituanie, et Kolesnikova était sur le point de le faire. La menace de représailles contre leurs familles pèse sur eux trois.
Que, dans de telles conditions, la Commission électorale attribue 80% des voix à Loukachenko, plutôt que de susciter des soupçons de bouderie, les accentue. Le dictateur biélorusse aurait reçu un sérieux avertissement de Moscou pour étouffer dans l'œuf toute tentative de faire naître une autre Maidán, en référence au mouvement qui a pris d'assaut la place principale de Kiev et a fini par expulser les dirigeants de l'Ukraine qui étaient favorables à un rapprochement avec la Russie. Ce changement de politique, dans lequel l'Ukraine a même entamé la procédure d'adhésion à l'UE et à l'OTAN, a tellement irrité Moscou que Poutine, après la conquête de la péninsule de Crimée, a lancé l'insurrection dans l'est du pays, dont la guerre a consommé la scission de fait des provinces de Lougansk et de Donetsk.
Tout porte donc à croire que Loukachenko va renforcer la répression afin de dissiper les espoirs que la jeunesse biélorusse nourrissait autrefois pour son pays en tant qu'aspirant à rejoindre l'Europe libérale. Il resserrera ses liens avec Poutine, qui desserrera ou resserrera son noeud coulant à sa convenance. Leur dépendance à l'égard de Moscou s'en trouvera accrue, et par conséquent les pays de l'UE limitrophes de la Russie et du Belarus augmenteront leurs craintes.