Netanyahou achève son coup contre le pouvoir judiciaire

PHOTO/AFP/RONALDO SCHEMIDT - Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu (à droite) s'entretient avec Aryeh Deri (à gauche), président du parti ultra-orthodoxe Shas, lors d'une session parlementaire à Jérusalem le 24 juillet 2023, au milieu d'une vague de protestations contre la réforme judiciaire prévue par le gouvernement

Rien ne l'a ému. Ni les quelque 30 manifestations de masse organisées chaque semaine cette année, ni la marche de dizaines de milliers d'Israéliens à pied entre Tel-Aviv et Jérusalem, ni la lettre sévère des pilotes de chasse menaçant d'abandonner leur poste, ni même les mises en garde de la Maison Blanche et d'une grande partie des communautés juives des Etats-Unis. Tout a finalement été vain, y compris la visite du président Isaac Herzog dans la chambre blindée de l'hôpital Sheba où le Premier ministre Benjamin Netanyahu se remettait de l'implantation d'un pacemaker. La Knesset, le Parlement israélien, a voté la loi sur le caractère raisonnable, qui marque la première étape décisive de la réforme du système judiciaire israélien, par 64 voix contre 0, c'est-à-dire avec toutes les voix de l'actuelle coalition gouvernementale, et aucune contre, car toute l'opposition a décidé de boycotter le vote en n'y participant pas, après l'échec de toutes les tentatives de négociation.  

En substance, cette première réforme prive la Cour suprême israélienne du pouvoir qu'elle avait jusqu'à présent de confirmer ou d'annuler les décisions ou les nominations du gouvernement sur la base de leur "caractère raisonnable", c'est-à-dire de la conformité de ces actes avec la loi, dans un pays qui n'a pas de constitution écrite. Il s'agissait donc d'un des mécanismes fondamentaux de contrôle et d'équilibre dans la séparation des pouvoirs. Il a été annulé par le gouvernement, selon la première déclaration de colère du chef de l'opposition, l'ancien Premier ministre Yair Lapid. Ce n'est pas une victoire pour la coalition [gouvernementale]", a-t-il souligné, "mais une défaite pour la démocratie israélienne".  

Ce n'est évidemment pas le point de vue du Likoud et certainement pas celui des membres les plus radicaux du gouvernement pro-Netanyahou. Pour le puissant ministre des finances Bezalel Smotrich, "ce que nous avons réalisé après de nombreuses années de travail et d'efforts, c'est de rétablir l'équilibre des pouvoirs, qui avait été violé il y a trente ans par le président de la Cour suprême de l'époque, Aharon Barak".  

Le ministre de la Justice, Yariv Levin, qui a été l'instigateur direct de la réforme judiciaire, a fait preuve de retenue : "La loi adoptée est de la plus haute importance et je ne peux exprimer un souhait plus grand et meilleur que celui que le peuple la comprenne".  

Pour l'instant, une grande partie du peuple ne comprend toujours pas, car la fracture est évidente en Israël ; dès l'adoption de la loi, les manifestations de protestation se sont intensifiées, avec de nombreux blocages de rues et de routes. La scientifique Shikma Bressler, qui a pris la tête des manifestations de protestation, qualifie l'adoption de la loi de "législation dictatoriale". Une description approuvée par la majorité de ceux qui ont enduré la répression croissante de la police israélienne tous les week-ends. Loin de diminuer en niveau et en intensité, ces manifestations ont été rejointes, semaine après semaine, par des hommes d'affaires, des cadres des prestigieuses entreprises technologiques israéliennes, ainsi que par des écrivains, des professeurs et des intellectuels. A côté d'eux, c'est le manifeste signé par plus de 12.000 réservistes, dont 540 pilotes de chasse volontaires, considérés comme essentiels à la défense du pays, qui a suscité le plus d'inquiétude.  

Yair Lapid a lui-même révélé qu'il s'était entretenu avec des responsables du Shin Bet, chargé de la sécurité intérieure, et des Forces de défense israéliennes (FDI), qui ont tous convenu que "[Netanyahou] nous mène au désastre". Il avait également averti que cette loi entraînerait "la fin de l'armée du peuple", en référence aux FDI, ce qui signifie également "renforcer les ennemis d'Israël en causant d'énormes dommages à la sécurité de notre pays". 

Ces proclamations, ainsi que celles de l'ancien Premier ministre et général Ehud Barak, ou de l'ancien ministre de la Défense Benny Gantz, ont été méprisées avec son habituel mépris par l'actuel ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, qui apparaît de plus en plus comme le nouvel homme fort du gouvernement. Pour lui, le gouvernement de coalition n'a reçu aucun mandat populaire pour assouplir le texte de la loi. Il précise que "c'est le gouvernement qui gouverne l'Etat d'Israël et non ceux qui mènent les manifestations, qu'il s'agisse de Shikma Bressler ou d'Ehud Barak".  

Le pays est en pleine effervescence, repensant des questions essentielles de son identité. Bien que Ben-Gvir s'en moque, les avertissements selon lesquels "Israël se dirige vers une dictature", exprimés par des personnalités telles qu'Ehud Barak, amènent pas mal de citoyens, surtout des jeunes, à se poser un certain nombre de questions. Netanyahou et ses ministres ont fort à faire pour y répondre... de manière satisfaisante.