Petro rentre en Colombie et se heurte à la justice

Il s'agissait de la seule visite d'État en Espagne prévue cette année. Le président colombien, Gustavo Petro, a donc bénéficié d'un traitement institutionnel et personnel des plus exquis. En revanche, les Espagnols n'ont pas eu beaucoup d'occasions de lui manifester leurs sentiments, les lourdes mesures de sécurité ayant pris le pas sur les éventuelles manifestations spontanées d'enthousiasme lors de ses déplacements dans la capitale. Il n'était donc pas possible de voir comment l'insistance de Petro à reprocher aux Espagnols d'être féodaux et exploiteurs, d'avoir imposé aux indigènes un joug colonial de plusieurs siècles, accusations que le leader colombien a formulées avant d'entreprendre son voyage et qu'il a réitérées par la suite, une fois sur le sol qui l'a accueilli avec tous les honneurs, avait touché une corde sensible chez les Espagnols.

M. Petro, qui a remporté la présidence colombienne avec un peu plus de 25 % des voix, s'est ensuite montré plus amical lors de ses rencontres avec le roi et le premier ministre, faisant allusion à la coopération entre les deux peuples, au fait que l'Espagne accorde une plus grande attention à l'Amérique latine pendant sa présidence européenne et que les investisseurs redoublent d'engagement envers le pays qu'il dirige aujourd'hui. Devant les députés, les entrepreneurs et les journalistes de la CEOE et du Forum de la nouvelle économie, il a exprimé sa préoccupation face au changement climatique, soulignant au passage "la nécessité d'un changement radical des paramètres politiques et économiques pour contrer la catastrophe à laquelle l'humanité est confrontée". Des changements qui, sous ce prétexte, impliqueraient un poids plus important du secteur public et, bien sûr, une fiscalité beaucoup plus agressive pour financer les réformes correspondantes, bien évidemment au détriment du secteur privé.

Avant de quitter l'Espagne et d'embarquer pour Lisbonne où il doit s'entretenir avec le premier ministre Antonio Costa et le président Antonio Rebelo de Sousa, Gustavo Petro s'est heurté au procureur général colombien Francisco Barbosa, qui l'avait qualifié de "dictateur". L'affrontement avait commencé avant le voyage de Gustavo Petro en Espagne, au sujet du "Clan du Golfe", actuellement considéré comme le plus puissant groupe de trafiquants de drogue colombiens. M. Barbosa avait émis de sérieuses réserves quant aux décisions prises par le chef de l'État colombien dans le cadre de sa politique de "paix totale". Petro avait répliqué en accusant le bureau du procureur général de la République de ne pas l'avoir informé des enquêtes en cours sur une opération des narcoterroristes du clan susmentionné, au cours de laquelle deux cents personnes auraient été tuées. Lors de l'échange de déclarations, Gustavo Petro avait paraphrasé Pedro Sánchez - "de qui dépend le bureau du procureur général, hein ? Eh bien, c'est de lui", rappelant à Barbosa que "ton patron, c'est le président de la République".  Le procureur général a répliqué, déjà avec Petro en Espagne, en refusant cette hiérarchie : "[Le président] n'est pas mon patron, ni le patron du parquet général, il a certaines compétences et j'en ai d'autres".

La crainte du pouvoir judiciaire d'être phagocyté par le pouvoir exécutif

Toujours au Portugal, Petro a publié une déclaration dans laquelle il a réduit son niveau d'agressivité initial : "Il est vrai - affirme-t-il - qu'en termes généraux, le procureur n'est subordonné à aucun fonctionnaire, mais il est subordonné à la constitution et à la loi".

Le président colombien a cherché à désamorcer la tension, après que la Cour suprême de justice a exprimé sa "préoccupation" à l'égard des déclarations de M. Petro, lui reprochant "son interprétation erronée de l'article de la Constitution" qui établit la hiérarchie du fonctionnement judiciaire. Le président de la Cour, Fernando Castillo, a enfoncé le clou en signant un document affirmant que M. Petro fait preuve "d'ignorance de l'autonomie et de l'indépendance judiciaire, clause fondatrice de la démocratie colombienne et pilier essentiel de l'État de droit social". La Cour suprême a donc soutenu le procureur général de la nation, après avoir assuré qu'"il n'a pas de supérieur hiérarchique et que son élection relève exclusivement de la Cour suprême de justice. Il s'agit d'un fonctionnaire dont la mission est clairement réglementée et encadrée dans l'autonomie et l'indépendance du pouvoir judiciaire".

Le pouvoir judiciaire colombien, comme celui de ses homologues des pays d'Amérique latine dominés par la révolution bolivarienne, craint que Petro ne lance une offensive pour en faire un appendice du pouvoir exécutif, qui se limiterait à certifier la constitutionnalité des changements radicaux qu'il propose, sous couvert de son plan de paix totale et de lutte contre le changement climatique. L'attaque du Palais de justice en 1985 par le M-19, mouvement de guérilla et/ou terroriste selon les termes employés, pèse également lourdement sur sa mémoire. Plus d'une centaine de personnes sont mortes dans cette opération, et Gustavo Petro, alors membre de ce groupe, n'a jamais condamné l'attentat.

Aujourd'hui, les accusations de Gustavo Petro à l'encontre du procureur général, proches des accusations personnelles de son collègue mexicain Andrés Manuel López Obrador dans ses longs discours matinaux, ont poussé Francisco Barbosa à faire sortir sa famille du pays "de peur qu'elle ne soit assassinée". Une éventualité dont Barbosa accuse directement le président Petro lui-même, si elle devait se produire.