Pousser pour affronter Macron

Emmanuel Macron

La vieille politique est en train de mourir. Les dernières élections régionales françaises en sont la preuve: 66% des électeurs n'ont pas rempli leur obligation civique de voter. Le fait que les élections et leurs vainqueurs aient toute légitimité n'enlève rien au fait que les citoyens en ont déjà assez de la politicaillerie -politique politicienne, selon la formule française- des partis, qu'ils accusent dans leur ensemble de ne pas résoudre les vrais problèmes qui les assaillent.

C'est une situation qui favorise l'émergence d'hommes et de femmes providentiels. À une époque de précipitation et de changements vertigineux, les citoyens ordinaires ont de moins en moins de patience pour que les choses évoluent selon des procédures qu'ils jugent lentes, dangereusement obsolètes et exaspérément coûteuses.

Il s'agit donc d'un moment délicat où la démocratie, du moins telle que nous l'avons connue, peut soit évoluer vers des formes plus participatives en accord avec son temps, soit basculer vers des figures providentielles à qui on pardonnerait tout, même d'exercer le pouvoir de manière dictatoriale ou tyrannique, pourvu qu'elles offrent en échange des solutions, même de simples leurres d'un avenir meilleur. 

La France a rencontré un tel personnage il y a un peu plus de quatre ans. C'est la seule façon d'expliquer pourquoi un homme sans parti et sans aucune implantation institutionnelle territoriale a remporté haut la main non seulement les élections présidentielles mais aussi les élections législatives qui ont suivi. En réalité, il a promis plus ou moins la même chose que ses prédécesseurs, c'est-à-dire une série de réformes essentielles pour remettre le pays à la tête d'une Europe dans laquelle l'Allemagne règne pratiquement par défaut.

L'un après l'autre, ses prédécesseurs, du centriste Giscard d'Estaing aux socialistes Mitterrand et Hollande, en passant par les néo-gaullistes Chirac et Sarkozy, ont dû abandonner leurs prétentions réformistes dès que le murmure désapprobateur de la rue s'est transformé en clameur. Macron, qui a enduré pendant près de deux ans la très forte pression des "gilets jaunes", affronte les derniers mois de son premier mandat avec son programme de réformes à moitié achevé, en plus de la désaffection croissante des citoyens.

Toujours coincé dans la même boucle

La classe politique française, comme une grande partie du reste de l'Europe, continue cependant à faire son propre chemin. L'analyse primaire de ces dernières élections désigne le duopole Macron-Le Pen comme les grands perdants: le premier pour n'avoir pas réussi à obtenir pour son parti, La République en Marche (LREM), plus de 7% des voix des maigres 33% de Français qui ont pris la peine de voter; le second, parce que son Rassemblement national (RN), héritier de l'anathème Front national, n'a toujours pas gouverné ne serait-ce qu'une seule région française après plus d'un quart de siècle d'efforts. 

Selon l'ancienne nomenclature, la gauche, regroupant le Parti socialiste (PS), le Parti communiste (PCF), Europe Écologie Les Verts (EELV) et l'extrémiste Europe Insoumise (EI), se targue d'avoir obtenu la deuxième place en nombre de voix, et surtout de maintenir son pouvoir sur les cinq régions qu'elle gouvernait déjà.

Mais, là où l'euphorie a grandi, c'est dans le camp de la droite, où les conservateurs traditionnels, aujourd'hui regroupés dans Les Républicains (LR), semblent avoir consommé la mise en place de nouveaux leaderships, qui aspirent à affronter Emmanuel Macron lors des élections présidentielles de l'année prochaine. Ils le sont: Xavier Bertrand, qui sera à la tête de la région la plus pauvre du pays, le nord des Hautes-de-France ; Laurent Wauquiez, qui renouvelle son mandat dans la très riche Auvergne-Rhône-Alpes, et Valérie Pécresse, qui présidera la plus importante, l'Île-de-France, composée de Paris et de sa périphérie. 

La France n'a jamais eu de femme présidente, seulement une femme premier ministre, Edith Cresson, qui n'a même pas passé deux ans en poste, assiégée par les sournoiseries d'une classe politique qui n'admettrait jamais d'être dirigée par une femme. Bien sûr, ce n'est pas non plus le cas de Marine Le Pen, qui, bien qu'elle ait réussi à remporter plusieurs élections au premier tour, s'est toujours retrouvée au second tour, décisif, contre le soi-disant "cordon sanitaire antifasciste" de tous les autres partis.

Valérie Pécresse, celle qui affiche le plus de confiance en elle, affirme vouloir libérer la France de la tenaille que représentent, selon elle, Macron et Le Pen. En plus du ou des candidats présentés par la gauche, parmi les conservateurs, ils seront a priori nombreux à vouloir déloger Macron de l'Élysée. Outre les aspirations de Bertrand, Wauquiez et Pécresse, d'autres personnages comme Michel Barnier, l'ancien ministre et ancien membre de la Commission européenne, négociateur acharné contre les Britanniques pour le Brexit, et l'ancien Premier ministre et maire du Havre Édouard Philippe, commencent déjà à découvrir les leurs. 

Il reste dix mois avant les élections, mais pour l'instant, aucun des candidats possibles n'a présenté quoi que ce soit qui ne ressemble pas à l'ancienne politique. Et les résultats des dernières élections ne sont pas vraiment encourageants. Il y a sans aucun doute un danger que le fait d'aller voter cesse d'être une célébration de la démocratie et devienne une formalité encombrante qui ne sert qu'à la classe politique pour justifier ses salaires et ses privilèges.