Poutine et Biden montrent les dents en mer Noire

Joe Biden Vladimir Putin

Concentration de plus de 20 000 soldats russes à la frontière avec l'Ukraine et annonce de manœuvres terrestres imminentes ; incursion de deux navires de guerre américains dans le Bosphore, précédée de missions de reconnaissance en mer Noire par des bombardiers B-1 ; alerte de l'armée ukrainienne dans la crainte d'une offensive débordant les territoires autonomes de Donetsk et de Lougansk. Ce sont là les derniers mouvements tactiques par lesquels la Russie de Vladimir Poutine veut tester la nouvelle administration américaine du président Joe Biden.

Il est toutefois peu probable que l'escalade évidente de la tension aille au-delà des lignes rouges que Moscou et Washington veulent fixer afin que les deux parties sachent clairement quelle est la position de leur adversaire sur les lignes de démarcation en Europe orientale.

Voyons d'abord ce qui peut se cacher derrière les manœuvres de la Russie. Tout d'abord, lancer un avertissement très sérieux à l'Ukraine : ses prétendues aspirations à rejoindre l'UE, et surtout l'OTAN, ne seront pas tolérées par Moscou, qui pourrait naturellement revitaliser à sa convenance le front oriental en augmentant l'intensité de ses bombardements sur les troupes et les positions ukrainiennes, voire en envahissant les territoires proches de Donetsk et de Lougansk. Le message final de Poutine à Kiev est d'oublier la récupération de ces régions et de la péninsule de Crimée annexée. Ce dernier garantit à la Russie sa présence - et sa domination navale - dans la mer Noire, et cela n'est pas négociable, même si cela signifie risquer une confrontation majeure. 

Au cas où les Ukrainiens et les Américains auraient des doutes, le président russe entend, avec les derniers mouvements de ses troupes, fixer définitivement les régiments qu'il a placés de son côté de la frontière depuis qu'il a encouragé le soulèvement des régions orientales de l'Ukraine. Sa justification reste la même : protéger la population de ces territoires d'origine, de langue et de culture principalement russes. Ce faisant, il donne également un nouvel élan aux deux républiques autonomes, qui ne sont reconnues et soutenues que par la Russie. Et elle leur envoie un message sans équivoque de soutien et de disponibilité à les protéger avec tout le poids des armes si nécessaire.

Et jusqu'où le président américain est-il prêt à aller dans son soutien à l'Ukraine ? C'est exactement ce que Poutine veut tester, surtout après les nouvelles proclamations de Kiev sur sa volonté de rejoindre l'OTAN pour se défendre contre les menaces russes. Et surtout, il s'agit de savoir si Biden soutiendrait une contre-offensive présumée de Kiev pour reconquérir les territoires perdus.

Accepter le statu quo ou le changer ?

Il s'agit donc d'un test décisif pour Joe Biden qui, bien qu'il ait déjà pris ses distances par rapport à la ligne de son prédécesseur sur les questions les plus urgentes - pandémie et changement climatique, essentiellement - devra mesurer l'ampleur de ses changements de comportement dans les nombreux points chauds du monde globalisé. 

La Turquie a déjà fait savoir qu'elle acceptait le passage des navires de guerre américains en mer Noire, où ils resteront pendant les trois prochaines semaines. On suppose que cette présence navale et l'intensification des vols de reconnaissance par ses bombardiers visent à leur tour à montrer les dents à la Russie et à l'avertir que de nouvelles incursions au-delà de ses frontières ne seront pas tolérées.  

La vérité est qu'à l'heure actuelle, l'Ukraine est absolument menottée, de sorte que ce qui changerait réellement et radicalement son destin - son adhésion à l'UE et à l'OTAN - est la ligne rouge que Moscou n'est pas prêt à tolérer. C'est le nœud du problème. 

Les 27 États membres actuels de l'UE soutiendraient-ils un rapprochement avec Kiev en vue d'une adhésion à moyen terme ? La réponse est plus qu'évidente : non. Une réponse assaisonnée, bien sûr, de toutes sortes d'excuses et d'équidistances. Et le fait est que l'UE, du moins en ce qui concerne la Russie, manque d'une politique globale définie, au-delà des fameuses sanctions, qui servent en revanche à Moscou à justifier la recherche d'autres liens et alliances, par exemple avec la Chine, pour faire contrepoids à ses adversaires.