Quelle Russie et quelle Ukraine voudrons-nous après la guerre ?

XXXVe Séminaire international sur la sécurité et la défense

Ni une Russie fragmentée et chaotique, ni une Ukraine vaincue et absorbée par l'impérialisme russe. Du moins pour les Européens, intégrés à la fois dans l'Union européenne et dans l'OTAN, c'est le scénario qu'ils considèrent comme le moins mauvais pour l'après-guerre. Un temps dont on ne sait pas encore quand il viendra, étant donné le niveau d'incertitude qui entoure à la fois la résolution de la lutte directe entre les deux pays et les intérêts projetés sur le conflit par une multitude d'acteurs qui veulent se repositionner dans le nouvel ordre mondial qui est déjà en train de se forger.  

Telle est, en termes généraux, la principale conclusion qui ressort des débats intenses du XXXVe Séminaire international sur la sécurité et la défense qui, une fois de plus organisé par l'Association des journalistes européens, a réuni à Tolède une centaine d'experts militaires et civils européens et américains pour disséquer le nerf de la guerre et expliquer comment le muscle de la paix peut agir.  

Le diagnostic est sans appel : la guerre en Ukraine est en train de changer le monde, à commencer par le choc qu'elle a provoqué chez les nouvelles générations du Vieux Continent, qui s'étaient convaincues qu'il était impossible qu'il y ait une nouvelle conflagration sur le sol européen, et que les guerres étaient ces conflits qui se déroulent sous des latitudes lointaines, et auxquels on ne prête attention que lorsque leurs conséquences tragiques, sous la forme de flots de réfugiés, arrivent avec leurs épreuves sur les épaules au seuil du territoire de l'Union.  

XXXVe Séminaire international sur la sécurité et la défense

La réalité de la terreur infligée par un voisin qui bafoue les règles a cédé la place aux discussions de salon. C'est ainsi que la Finlande et la Suède ont troqué leur neutralité soi-disant immuable et exquise pour aller frapper à la porte de l'OTAN et demander la protection de tous leurs membres. De même, les pays d'Europe de l'Est, Pologne et pays baltes en tête, rappellent au reste de leurs partenaires le mépris avec lequel ils ont accueilli leurs mises en garde répétées contre la poussée impérialiste de la Russie. Faisant preuve de supériorité morale, ils ont retourné la France et l'Allemagne et exigent maintenant d'être davantage pris en compte dans la conception de l'architecture européenne.

A partir de là, il y a unanimité pour considérer qu'il y a un agresseur et un agressé, et qu'une paix juste et négociée ne peut être obtenue si l'on omet l'agresseur et l'agressé. Cette réémergence de l'impérialisme russe, conséquence logique d'un nationalisme exacerbé, a accéléré le resserrement des rangs au sein de l'UE et de l'OTAN, et bien sûr le nationalisme de l'Ukraine envahie, devenue le fer de lance de la défense des valeurs que l'Occident prétend porter et défendre.

La guerre change également le visage des forces armées dans tous les pays. Le matériel de guerre de plus en plus sophistiqué fourni aux Ukrainiens sort des entrepôts des armées nationales, qui demandent à leur tour aux États-Unis de ne pas les laisser sans défense et de les remplacer par des armes de nouvelle génération. Washington est sans doute l'un des vainqueurs de cette guerre et a fait prendre conscience aux Européens de l'absence d'une industrie de défense collective. Conçue pour le temps de paix, la bureaucratie l'emporte sur l'urgence dans les projets industriels militaires de l'UE. 

Pedro González, Carmen Chamorro, Marta González et Javier Fernández Arribas

Si l'Europe veut être un acteur majeur de l'après-guerre, elle devra accélérer ses plans industriels, où le cabotinage est de mise ; en témoigne le départ de la ministre espagnole de la Défense d'une réunion de l'OTAN avec une trentaine d'entreprises, parmi lesquelles aucune espagnole n'avait été invitée. Ce traitement est d'autant plus injuste que "l'Espagne disposera dans deux ans des satellites les plus avancés d'Europe", selon Miguel Ángel Panduro, PDG d'Hispasat.  

La préoccupation de l'Espagne, qui devrait être aussi celle de toute l'UE, réside également dans ce qui pourrait se passer au Sahel, où il est prévisible que la pression des guérillas djihadistes, aidées par les mercenaires du Kremlin, fera basculer les États de la région dans l'échec, avec les menaces et les pressions qui en résulteront pour le Maghreb. Il faudra d'abord résoudre le problème de l'Ukraine et ensuite s'occuper du flanc sud. L'Espagne exige une assistance réciproque de la part de ses partenaires à cet égard.  

Il n'est donc pas dans l'intérêt de l'Espagne que l'issue du conflit aboutisse à une Russie fragmentée et chaotique. Avec un pays vaincu et épuisé, mais avec des institutions et des dirigeants qui les incarnent, il est possible de négocier. Il n'en va pas de même avec des territoires en proie au chaos, où personne ne sait qui commande et où il est impossible d'établir le moindre accord utile. La Russie devra régler ses différends en interne, peut-être sa plus grande crise, peut-être en renversant Poutine, l'initiateur de la guerre, devenu aujourd'hui un allié mineur de la Chine, elle aussi grande gagnante de ce conflit. 

Alors que l'Ukraine est dévastée, la Chine a littéralement racheté la plupart des mines d'Amérique latine et d'Afrique qui produisent les matériaux rares indispensables à la fabrication de tout ce qui va des ordinateurs aux téléphones portables. Si cela continue, d'ici 2050, elle sera la maîtresse absolue du marché.  

L'Ukraine, par la bouche de son président Volodimir Zelenski, veut récupérer tout ce que la Russie lui a pris depuis 2014. Elle estime être en mesure de le faire et ne renonce pas à infliger une sévère défaite militaire à la Russie. Ce ne sera pas facile. La Crimée pourrait être non négociable pour Moscou, et si elle est perdue, elle pourrait même devenir un prétexte pour tirer ses armes nucléaires tactiques. Bien entendu, l'OTAN n'ouvrira pas la porte à l'entrée de l'Ukraine - ce serait une déclaration de guerre de l'OTAN à la Russie, car l'article 5 de l'Alliance s'appliquerait alors automatiquement. En revanche, elle pourrait être facilitée par le raccourcissement du délai d'adhésion à l'UE, à condition qu'elle se conforme aux exigences de l'acquis communautaire. L'éradication de la corruption est l'une des plus urgentes. Bruxelles devra surveiller de près la gestion de l'argent qui coule déjà, mais qui coulera encore plus lorsque les projets de reconstruction du pays pourront démarrer. Une manne qui, dans un premier temps, pourrait avoisiner les 300 milliards d'euros. Et n'oublions pas que le héros Zelenski est arrivé au pouvoir parce que les Ukrainiens en avaient très, très marre de la corruption rampante qui sévissait dans tout le pays.