S'opposer à Poutine, une profession à haut risque

Alexéi Navalni

Avec la mort du dernier grand adversaire du tsar russe, Vladimir Poutine, il est très peu probable que, si un nouveau candidat se présentait pour succéder à Alexei Navalni, les grandes compagnies d'assurance du monde entier veuillent reprendre sa police d'assurance sans une prime astronomique inabordable. 

L'expérience montre qu'il n'y a pas de profession ou d'activité plus risquée que de se présenter comme un opposant au régime de l'ancien agent du KGB soviétique. 

La liste est longue : Anna Politkovskaïa (2006), Alexandre Litvinenko (2006), Boris Berezovsksy (2013), Boris Nemtsov (2015), Sergei Skipral (2016)... On pourrait y ajouter Evgeni Prigozhin, fondateur et propriétaire du groupe Wagner, le corps de mercenaires qui se serait rebellé contre Poutine en 2023.

Parmi eux, le plus influent et le plus difficile à réprimer est sans conteste l'avocat Alexei Navalni, devenu le leader de l'opposition capable de faire descendre des centaines de milliers de manifestants dans les rues des grandes villes russes. Il était donc la plus grande menace pour le maître du Kremlin.

Navalni avait survécu à l'empoisonnement en 2020 avec la substance connue sous le nom de Novichok, grâce à une série de coïncidences imprévues, qui lui ont permis d'être finalement transféré de Sibérie vers un hôpital allemand où des médecins allemands lui ont sauvé la vie. 

Interrogé sur sa prétendue culpabilité, le président russe, avec son sarcasme habituel, a répondu en disqualifiant l'interlocuteur : "Quelle absurdité ! Si nous avions voulu le tuer, il n'y aurait eu aucun problème pour le faire". 

Si l'on en juge par l'enchaînement des actions ultérieures, la liquidation de Navalni a été une tâche ardue avant même d'être achevée. Depuis les simulacres de procès successifs et les peines cumulées de plus en plus lourdes, jusqu'aux transferts de prison et aux conditions de plus en plus dures, qui ont abouti à l'effondrement final de l'inflexible défenseur d'une "Grande Russie pacifique et libre".

En raison de son emprisonnement et de ses crimes présumés au moins exotiques, M. Navalni était déjà exclu de la liste des candidats aux prochaines élections présidentielles. 

Il avait laissé à sa place un successeur, Boris Nadejine, dont le parti, l'Initiative citoyenne, avait pu recueillir 200 000 signatures, soit 100 000 de plus que le nombre nécessaire pour être proclamé candidat. Mais la Commission électorale centrale (CEC) a d'abord rejeté 95 000 signatures, puis en a invalidé 9 202 autres, ce qui l'a également mis hors course. 

Vladimir Poutine n'aura donc à affronter que trois autres candidats avec lesquels il veut rattraper la dérive stalinienne de son régime. Il s'agit de Nijolay Kharitonov du Parti communiste, de Leonid Slutsky, leader des ultra-nationalistes, et de l'émergent mais pour l'instant inoffensif Vladislav Davankov, qui dirige le Nouveau Peuple. Il est donc acquis que Poutine effectuera un nouveau mandat, au terme duquel il aura 78 ans en 2030. 

À l'approche des élections, M. Poutine a également renforcé considérablement les lois répressives de son régime, en créant de nouveaux crimes ou en alourdissant les peines encourues pour s'opposer à ses desseins. Désormais, en plus des peines d'emprisonnement et de prison longues et sévères, les condamnés se verront confisquer leurs biens s'ils diffusent de fausses nouvelles sur l'armée. 

La nouvelle loi de Poutine prévoit la saisie de l'argent, des titres et des biens utilisés pour financer des activités qui portent atteinte à la sécurité de la Russie, une affirmation qui englobe tout, depuis le fait de ne pas être assez enthousiaste pour applaudir le dirigeant jusqu'à croiser le regard d'une séduisante touriste étrangère.

Dans ces conditions, quelqu'un osera-t-il prendre le relais de Navalni ? Il est très difficile de trouver des personnes avec des noms et des prénoms. Ceux qui s'opposent à l'agression russe en Ukraine, en particulier les jeunes qui aspirent à ne pas être entraînés de force dans cette guerre, n'osent que marmonner les noms d'Ilya Ponomarev et de Mikhail Khodorkovsky. 

Pour l'instant, ils semblent plus un souhait qu'une possibilité avec une lueur de réalité. Tous deux sont en exil et résident au Royaume-Uni, où les agents de Poutine ont montré qu'ils n'avaient aucun mal à accéder à leurs cibles et à tenter de les liquider. 

Comme Staline, Vladimir Poutine n'est pas seulement le puissant maître de la Russie, mais il élimine tous ceux qui osent ne serait-ce que lui faire de l'ombre et remettre en question ses souhaits. 

Personne depuis le soi-disant "homme d'acier" n'a accumulé un pouvoir aussi immense, que ce soit dans la défunte Union soviétique ou dans l'actuelle Fédération de Russie. 

Dans ces conditions, l'issue de la guerre en Ukraine pourrait être la seule variable majeure qui modifie à la fois la situation de la Russie et celle de son président autocrate.