Vers la fin abrupte du rêve américain
Avec 22 millions de chômeurs supplémentaires à cause de la pandémie de coronavirus, le président américain Donald Trump a trouvé la meilleure excuse pour relancer son célèbre slogan de sa première campagne électorale, « America First », un emblème qui résume également son repli nationaliste, annulant d'un seul coup la grandeur d'un pays considéré comme l'incarnation la plus proche du pays du paradis, celui que l'on appelait le rêve américain.
Comme d'habitude, M. Trump a utilisé un tweet pour annoncer son intention de « suspendre temporairement » toute immigration aux États-Unis. Le texte, lancé à 4h06 ce mardi (heure espagnole), appelle le coronavirus « l'ennemi invisible », et justifie la mesure par avance dans la nécessité de protéger les emplois des « GRANDS citoyens américains », oui, avec toutes les majuscules.
Ce mouvement est clairement une opération politique de teinte électorale marquée, au moment même où les relations entre la Maison Blanche et non pas quelques gouverneurs des États qui composent la Fédération se sont effilochées. M. Trump exige la levée immédiate du verrouillage et la reprise de l'activité économique dans tout le pays, sous prétexte que les dommages qu'il prévoit seront bien plus importants, selon lui, que ceux causés par le virus. L'opposition de nombre de ces gouverneurs à la levée des restrictions, compte tenu de l'avancée incontrôlable de la contagion et de l'augmentation du nombre de décès dans le monde, a atteint un point de conflit de légitimité : Donald Trump revendiquant le pouvoir total de décréter des mesures pour l'ensemble du territoire, et les gouverneurs profitant de leurs « pouvoirs indéclinables » dans leurs Etats respectifs.
Encouragées par le président lui-même, les manifestations populaires dans plusieurs d'entre elles, comme en Virginie ou en Indiana, réclamant la liberté de mouvement et de travail, ont provoqué une polarisation croissante du pays et une baisse significative des sondages de Donald Trump face à la journée électorale encore lointaine du 3 novembre. Mais l'alerte a sonné assez fort pour annoncer une mesure aussi forte qu'une interdiction totale de l'immigration.
Malgré le fait que ces mesures soient de nature temporaire, il est très difficile de les inverser et, lorsque cela est fait, cela se fait très lentement, car si la politique est la principale motivation pour les décréter, la politique est aussi, mais avec de nombreux partisans et détracteurs qui s'affrontent déjà, un retour à la vieille normalité qui a été pleinement acceptée et assumée.
Il s'agit donc de l'un des changements les plus importants et les plus transcendantaux que le monde connaîtra dans la période post-pandémique. Obtenir la fameuse carte verte, un document qui permet de vivre et de travailler aux États-Unis, a été le rêve de dizaines de millions d'hommes et de femmes de toutes les latitudes, des grands chercheurs aux sportifs, en passant par les très nombreux travailleurs qui, en assumant les tâches les plus ingrates, sont passés de la misère et du manque d'avenir dans leurs pays respectifs à développer leur talent, à prospérer et, en bref, à pouvoir se justifier du pourquoi et du comment de leur existence.
Ces documents très recherchés étaient déjà en déclin, passant de 618 000 cartes vertes accordées en 2016, toujours avec Barack Obama au pouvoir, à 462 000 en 2019. Les visas de travail temporaires avaient également diminué de 16 % au cours de la même période. Le décret annoncé par Trump pourrait leur donner le coup de grâce, en profitant du fait que les frontières des États-Unis sont actuellement fermées aux Européens, aux Chinois et aux Iraniens, et à peine entrouvertes pour certaines exceptions avec le Canada et le Mexique, et que l'immigration clandestine en provenance du sud du continent est pratiquement inexistante, grâce aux accords d'endiguement et de confinement dans leurs pays d'origine, signés par les États-Unis avec les pays d'Amérique centrale.
Pour des personnes si différentes et aux ambitions et origines si diverses, les États-Unis étaient l'horizon final, le paradis avec lequel Hollywood a fait naître le rêve américain, capable de provoquer les émotions et les désirs les plus intenses dans une grande partie de l'humanité. Elle sera ainsi l'une des grandes victimes mondiales de cette crise.