La chute de Castillo

Les mains tremblantes, le président Castillo s'est adressé à la nation mercredi dernier pour annoncer la dissolution du Congrès, l'intervention du pouvoir judiciaire et la création d'une Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Magna Carta. Ce coup d'État est le dernier geste en date et le plus délirant d'un leader politique faible et dérangé qui a plongé son pays dans une profonde crise institutionnelle depuis son arrivée au pouvoir.
Castillo, dès la première minute, a démontré son incapacité totale à former un cabinet un minimum solide. Les crises gouvernementales se succèdent, les démissions et les scandales touchant les membres de son équipe.
Mercredi dernier, alors qu'il faisait face à sa troisième motion de censure en à peine un an et demi de gouvernement, il a décrété son suicide politique en tentant de renverser l'État de droit et d'imposer un processus constituant pour éviter la destitution. Ce sont des recettes que nous avons vues tant de fois en Amérique latine au cours des dernières décennies. Mais heureusement, cette fois-ci, c'était différent. Le Congrès ne s'est pas laissé faire et a voté pour sa destitution, nombre de ses ministres ont démissionné, son parti lui a tourné le dos et, surtout, les forces armées n'ont pas suivi son exemple, ce qui a conduit à l'échec de la tentative de coup d'État.
Aujourd'hui, le ministère public l'inculpe, en vertu de l'article 346 du code pénal péruvien, du crime de rébellion pour avoir pris les armes "pour changer la forme du gouvernement, déposer le gouvernement légalement constitué ou supprimer ou modifier le régime constitutionnel". Cette qualification est évidente étant donné que, pour ceux qui ne le savent pas, les démocraties se défendent elles-mêmes, en Amérique et dans le monde entier.
Et c'est sans aucun doute une magnifique nouvelle. C'est une bonne nouvelle parce que les institutions péruviennes ne se sont pas laissées intimider par un chef d'État qui a trahi son pays en essayant de le mettre dans une situation inacceptable qui, si elle avait réussi, aurait non seulement mis fin à la démocratie mais aussi détruit la coexistence dans le pays.
Et c'est aussi une bonne nouvelle car cela montre que quelque chose est en train de changer dans la région et cela pourrait être un avertissement pour le reste des dirigeants populistes de cette partie du monde. Au Mexique, López Obrador, qui envisage d'offrir l'asile à l'ancien président péruvien, est un autre des leaders qui jouent à disqualifier le système politique de son pays. Un exemple en est le projet de réforme électorale sur lequel son administration travaille actuellement.
Cependant, toutes les lectures que l'on peut tirer de la résolution de cette crise ne sont pas positives. Depuis la chute de Humala en 2016, le Pérou a connu six présidents. La population a subi une perte de confiance absolue dans sa classe politique, et la configuration constitutionnelle semble conduire inévitablement à un affrontement permanent entre l'exécutif et le législatif.
À cela s'ajoute le bourbier de la corruption, un cancer pour la démocratie qui provoque de profondes déchirures dans la confiance des citoyens envers leurs institutions. Les enquêtes à ce sujet ont entouré Castillo et ses collaborateurs, mais ses prédécesseurs ne sont pas en reste. Alejandro Toledo a été arrêté aux États-Unis à la demande des procureurs de son pays, Alan García s'est suicidé en 2019 après avoir été lié à l'affaire Odebrecht, et Ollanta Humala fait l'objet d'une enquête pour un éventuel financement illégal de sa campagne.
Ce cocktail de corruption et de politique partisane a rongé la démocratie péruvienne, qui a manifestement besoin d'une profonde reconversion. Dina Boluarte, la vice-présidente de Castillo qui a pris le pouvoir après l'éviction du président, a bien commencé son mandat en condamnant sans équivoque le coup d'État. Cependant, son nom et ses antécédents suggèrent qu'elle n'est qu'un leader intérimaire dont la mission principale est de calmer les eaux et d'appeler le peuple aux urnes. Il est vital de consulter le peuple et de construire de nouveaux leaderships, d'examiner la Constitution de 1993 pour clarifier les pouvoirs de l'exécutif et du législatif, et surtout, de prendre la responsabilité collective de lutter sans relâche contre la corruption. En bref, une nouvelle page doit être tournée dans un pays fascinant dont les conditions stratégiques lui ont permis de connaître une phase d'expansion économique qui permet au pays andin de rêver à un avenir passionnant.