La réponse russe à la posture nucléaire américaine

La publication de "The Button" (BenBella Books, 2020), le dernier livre de l'ancien secrétaire américain à la défense William Perry, a coïncidé avec la publication d'un document officiel russe exposant les principes qui actualisent sa doctrine de dissuasion nucléaire. La perspicacité des arguments développés par Perry est encore plus appréciée en examinant le document russe. La thèse centrale de Perry est la nécessité de procéder à l'annulation programmée du programme nucléaire américain, dont le maintien, selon lui, est dû à l'inertie de la mentalité de la guerre froide et à la persistance d'un ensemble d'intérêts particuliers.
Son principe fondamental est que l'effort pour assurer une réponse écrasante à une frappe nucléaire russe par surprise augmente la probabilité d'erreur technique ou humaine ; un risque que Perry propose d'atténuer en partageant avec le Congrès l'autorité pour l'utilisation de l'arme nucléaire, en invoquant la contradiction entre le principe constitutionnel qui lui donne le droit de déclarer l'état de guerre, et la prérogative présidentielle de mener une frappe nucléaire sans consultation obligatoire, exactement comme cela se passe en Russie. En même temps, William Perry préconise de résister à la propension, convenue par les républicains et les démocrates, à répondre à la modernisation des capacités nucléaires offensives de la Chine et de la Russie en faisant de même.
Et c'est précisément à la lumière de cette dissidence de Perry que le contenu du document russe prend une pertinence particulière, car il propose une approche de la défense nucléaire qui est loin d'être une symétrie de la doctrine américaine, qui oblige les responsables de la politique nucléaire américaine, et par extension, des pays membres de l'OTAN, à procéder à des ajustements mentaux, précisément pour éviter des erreurs fatales d'interprétation des intentions résultant de biais confirmatifs, qui peuvent précipiter des situations irréversibles.
Malgré sa concision - il fait à peine six pages - le document russe est la première position importante après la Nuclear Posture Review américaine et son retrait du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, un accord en vigueur depuis 1987, qui imposait des limites à l'utilisation des missiles à courte et moyenne portée par ses signataires. Dans une certaine mesure, le nouveau document russe s'engage dans un exercice dialectique avec le postulat fondamental de la position américaine ; la présomption qu'il y a une intention du côté russe d'utiliser la force pour modifier la carte européenne en recourant implicitement et explicitement aux menaces nucléaires pour s'imposer à ses voisins.
En ce sens, la phraséologie du document russe s'efforce de transmettre l'idée que la doctrine nucléaire russe privilégie la dissuasion par rapport à la coercition, en élaborant un "démenti plausible" de l'inférence américaine selon laquelle la doctrine russe formule de manière informelle l'utilisation limitée des armes nucléaires pour forcer la cessation abrupte d'un conflit conventionnel, dans des conditions avantageuses pour la Russie, en appliquant une stratégie d'"escalade pour gagner". Au lieu de cela, le document développe le concept "d'escalade à la désescalade", une utilisation limitée des armes nucléaires pour résoudre une conflagration ratée qui, sans être explicitement incluse dans la stratégie russe, est une option qui apparaît avec une certaine profusion dans la littérature militaire soviétique, dans le cadre de ses méthodes de dissuasion.
La clause XIX du nouveau document russe stipule l'utilité de réduire le risque d'agression contre la Russie en soulignant la possibilité d'infliger des coûts excessifs à l'adversaire dans certaines circonstances. Il s'agit notamment de la possession de renseignements crédibles sur le lancement de missiles contre le territoire russe, ce qui, aux yeux des Russes, légitimerait l'utilisation d'armes nucléaires a priori et à titre d'avertissement, sans attendre que la menace elle-même se concrétise. La justification suivante réside dans l'utilisation d'armes de destruction massive contre la Russie. Troisièmement, la Russie aurait recours à une "escalade contrôlée" si les actions d'un ennemi hostile avaient pour effet de rendre inutilisable la capacité de réponse nucléaire de la Russie, y compris dans ce chapitre les effets des cyber-attaques. Enfin, l'utilisation d'armes nucléaires est stipulée lorsque l'agression conventionnelle menace l'existence même de l'État russe. Le plus petit dénominateur commun de ces stipulations est l'accent mis sur leur nature défensive. A tel point que le document module des éléments de la rhétorique officielle utilisée dans le passé, faisant passer la motivation du déclenchement d'une escalade nucléaire de conditions "favorables" à des conditions "acceptables". En tout état de cause, les principes du document sont conformes aux déclarations antérieures de Poutine, dans lesquelles il affirmait avec véhémence que l'utilisation de certaines armes conventionnelles, de précision maximale et d'une efficacité dévastatrice, contre les infrastructures militaires russes, a un effet stratégique potentiel comparable à celui d'une arme nucléaire.
Les informations dont nous disposons, 30 ans après la fin de la guerre froide, révèlent que ni les Russes ni les Américains n'ont jamais sérieusement envisagé de lancer une attaque nucléaire surprise contre leurs ennemis respectifs.
Les deux parties étaient pleinement conscientes que personne ne peut gagner dans une guerre thermonucléaire. Cependant, en l'absence d'un traité nucléaire de grande envergure destiné à contrôler les réalités de la prolifération au XXIe siècle, les États-Unis et la Russie s'approchent tous deux d'une nouvelle course à l'atome. Comme le souligne William Perry dans son livre, la distinction entre les armes tactiques et stratégiques d'une part, et le lancement d'armes à titre d'avertissement ou de frappe préventive d'autre part, est très académique, et est si ténue et subjective que dans un scénario de véritable conflagration, passer d'une étape à l'autre, à cause d'une mauvaise interprétation militaire ou politique, est en effet ingérable. La publication du document russe a le mérite de mettre sur la table que l'entrée en jeu d'un armement conventionnel avancé, produit grâce à la suprématie industrielle et technologique, et caractérisé par sa capacité à compromettre existentiellement l'adversaire, loin d'inciter à l'obsolescence de l'ancienne technologie nucléaire, conduit à concevoir de nouvelles circonstances et de nouveaux scénarios pour l'utiliser comme une police d'assurance, relativement abordable, contre des risques réels ou perçus.