Le Golfe à la conquête du Nil : Abou Dhabi accélère ses investissements dans le pétrole égyptien
Mi-février, l’Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) a conclu un accord commercial avec la compagnie pétrolière britannique British Petroleum (bp) visant à former une joint-venture, ou co-entreprise, gazière en Égypte. Acteur important de l’industrie pétrolière et gazière, la production de richesse pétrolière de l’État égyptien s’élevait à 79,5 millions en 2022, réparties en environ 27,8 millions de tonnes de pétroles brut et de condensats, 50,6 millions de tonnes de gaz naturel et 1,1 million de tonnes de butane.
- La co-entreprise ADNOC-bp, exemple d’un nouveau partenariat stratégique
- ADNOC et bp, des sociétés bien implantées dans le secteur pétrogazier égyptien
- Crise financière égyptienne
Ces chiffres importants sont le fruit des efforts de modernisation de l’industrie poussés par le ministère du Pétrole et des Ressources minérales. Pour faire face à la crise économique actuelle, ce dernier a cherché à rendre le secteur pétrogazier égyptien plus attrayant pour les investisseurs étrangers.
Dès lors, la création de la co-entreprise ADNOC-bp intervient dans un contexte de prolifération des investissements au sein du secteur énergétique égyptien. Les autorités égyptiennes œuvrent activement à l’expansion de leur influence régionale dans l’énergie à travers des partenariats stratégiques, partenariats que les Émirats arabes unis ont d’emblée saisis.
La co-entreprise ADNOC-bp, exemple d’un nouveau partenariat stratégique
Les deux sociétés britannique et émirati ont officiellement annoncé leur engagement à établir une nouvelle co-entreprise en Égypte à travers un communiqué publié par bp le 14 février. Ce rapport révèle que la nouvelle co-entreprise sera détenue à hauteur de 51 % par le premier parti (bp) et à 49 % par le second (ADNOC).
Il convient de souligner que les co-entreprises, se fondant sur un accord commercial, voient le jour afin de permettre à deux ou plusieurs parties de mettre en commun leurs ressources dans le but d'accomplir une tâche spécifique. Cette association jouit de plusieurs avantages et permet notamment de tirer parti des ressources des deux partenaires, de réduire les coûts du projet, de combiner les expertises, ou encore parfois, de pénétrer les marchés étrangers dans le cadre d’une association avec une entreprise locale.
La co-entreprise ADNOC-bp, elle, a pour objectif principal de combiner les capacités techniques approfondies et les références éprouvées des deux parties, dans le but de développer un portefeuille gazier hautement compétitif. Selon les clauses établies par l’accord, la société britannique bp apportera à la co-entreprise ses intérêts dans trois concessions de développement, ainsi que des accords d'exploration en Égypte. De l’autre côté, ADNOC apportera une contribution proportionnelle en espèces qui pourra être utilisée pour de futures opportunités de croissance.
Ces concessions incluent la part de 10 % de bp dans la concession de Shorouk, qui comprend le champ productif de Zohr, géré par la Belayim Petroleum Company (Petrobel), ainsi que la concession de North Damietta, qui comprend le champ productif d'Atoll et est géré par la Pharaonic Petroleum Company. Le projet comprend également 50 % de la concession de North Burj, qui comprend le champ non développé de Satis, et la concession d'exploration des zones de North Tabiya et de Bellatrix City à l'est et au nord de Turquoise.
Dès lors, la co-entreprise ADNOC-bp renforce le partenariat stratégique plus large dans les domaines de l'énergie, des énergies renouvelables et de la technologie de captage et de stockage du carbone, en plus de la relation entre les deux entreprises dans la concession onshore d'ADNOC à Abou Dhabi.
Le directeur exécutif d'ADNOC pour les solutions à faible teneur en carbone et la croissance internationale, Musabbeh Al Kaabi, a affirmé à ce sujet : « cette annonce représente une étape importante dans la construction par ADNOC de son portefeuille international de gaz naturel. Ce partenariat progressif en coentreprise renforcera la sécurité énergétique de l'Égypte et le potentiel économique du pays arabe le plus peuplé de la région. ».
Le vice-président exécutif de bp pour les régions, les entreprises et les solutions s’est aussi exprimé sur ce nouvel accord. « Cette joint-venture dynamique offre une plateforme de croissance internationale qui fait progresser notre partenariat stratégique de longue date avec ADNOC, qui s'étend sur plus de cinq décennies […] nous continuerons à produire et à fournir au pays une énergie sûre et à faible teneur en carbone sous la forme de gaz naturel », affirme William Lin.
Il convient de rappeler en effet que les deux sociétés britannique et émiratis sont des membres fondateurs de la Charte de décarbonisation du pétrole et du gaz (OGDC), lancée lors de la COP28 à Dubaï.
La co-entreprise, qui devrait ainsi voir le jour au second semestre de cette année, constitue en réalité la deuxième phase de la coopération de bp et ADNOC en Méditerranée orientale. Selon Reuters, la première phase consistait en l’achat conjoint d’une participation de 50 % dans le producteur de gaz israélien NewMed. Toutefois, bien que les discussions sur l’accord se poursuivent, les négociations ne semblent pas avoir beaucoup progressées depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas.
ADNOC et bp, des sociétés bien implantées dans le secteur pétrogazier égyptien
British Petroleum opère depuis près de 60 ans en Égypte, investissant plus de 35 milliards de dollars au cours de cette période, et constitue un pilier majeur de l'industrie énergétique du pays. Actuellement, bp produit 60 % du gaz égyptien à travers deux projets conjoints dans l'est et l'ouest du delta du Nil.
L’ambition de la société britannique ne cesse de grimper. Récemment, bp a annoncé dans un communiqué avoir « l'intention de forer quatre nouveaux puits d'exploration de gaz naturel, deux puits dans le champ Raven en Méditerranée occidentale et deux puits dans les zones au nord du roi Mario ». Selon Al-Arab news, le ministère du Pétrole et des Ressources minérales a ajouté que « le volume total des investissements que la société injectera en Égypte avec ses partenaires dans le domaine de l'exploration et du développement des ressources en gaz naturel atteindra environ 3,5 milliards de dollars au cours des trois prochaines années et devrait doubler si de nouvelles découvertes sont réalisées ». Le 29 février, elle a également annoncé son intention d’investir environ 1,5 milliards de dollars supplémentaires dans le secteur énergétique du pays au cours des prochaines années.
De son côté, ADNOC dispose actuellement de neuf stations de commercialisation et de distribution de produits pétroliers en service, avec une station supplémentaire qui devrait ouvrir ses portes en avril et une station modèle qui devrait être achevée en octobre. Fin février, le ministre du Pétrole et des Ressources minérales, Tarek El Molla, s’est entretenu avec Bader Al Lamki, président-directeur général (PDG) d'ADNOC Distribution. Au cours de cette rencontre, Tarek El Molla et Bader Al Lamki ont examiné davantage de projets d'expansion de l'entreprise dans le domaine de la commercialisation et de la distribution de produits pétroliers, notamment en Égypte. Le PDG d'ADNOC a également évoqué les projets de la société d'étendre ses investissements dans les infrastructures et d'entrer dans le domaine du ravitaillement en carburant des avions en Égypte.
Crise financière égyptienne
Depuis le début de la crise financière, Abou Dhabi soutient Le Caire en injectant des investissements directs principalement concentrés sur l’augmentation des capitaux dans de nombreux domaines. En effet, l’Égypte subit actuellement une grave pénurie de devises étrangères et peine à obtenir les financements suffisants auprès du Fond Monétaire International (FMI).
Les Émirats arabes unis ont récemment débloqué 35 milliards de dollars afin d’atténuer la crise financière du pays. Cette enveloppe sera investie dans un vaste site de développement sur la côte méditerranéenne du nord-ouest de l'Égypte afin de construire un centre touristique et financier dans la région de Ras al-Hekma, indique The Financial Times. Selon les analystes, cet investissement pourrait permettre à l’Égypte de débloquer un accord de longue date avec le FMI pour un ensemble de prêts dépassant les 10 milliards de dollars.
Au 7 février 2024, un article de Reuters rappelle que l’Égypte est sous surveillance en matière de dévaluation de la livre sterling. Certains analystes estiment qu'une hausse de 200 points de base des taux d'intérêt par la banque centrale la semaine dernière pourrait indiquer qu'une dévaluation est en cours.
D’après Reuters, la livre égyptienne, fixée à 30,85 pour un dollar depuis mars, s'est négociée sur le marché noir au début du mois jusqu'à 71 pour un dollar, mais s'est depuis renforcée autour de 60. Le soutien financier des États du Golfe est principalement motivé par la peur de voir la région se déstabiliser davantage si l’économie égyptienne devait en venir à s’effondrer.
Néanmoins, l’État égyptien a mis en place des mesures pour y faire face. Dans le secteur du pétrole et du gaz, Le Caire a adopté une nouvelle stratégie de prospection pétrolière ayant permis la découverte de 315 champs pétroliers et 134 champs gaziers dans le Sahara occidental, la Méditerranée, le Sinaï, le Delta et le golfe de Suez. Selon les chiffres du ministère du Pétrole et des Ressources minérales, au cours de la dernière période allant d'octobre 2013 à février 2021, les accords ont été conclus avec un investissement total minimum d'environ 18,1 milliards de dollars dans les phases d'exploration, avec un engagement à forer un minimum de 515 puits d'exploration.
S’il faudra attendre l’approbation des autorités réglementaires pour que la co-entreprise voit le jour, cette démarche témoigne de l’ambition croissante des Émirats arabes unis, par le biais de l’ADNOC, pour se faire une place sur le marché pétrogazier égyptien. À travers ses investissements, la société émiratie s'efforce de se développer à l'étranger pour valoriser son activité et générer davantage de rendements.