L'Irak ouvre une procédure contre les compagnies pétrolières étrangères qui opèrent toujours au Kurdistan
Les répercussions de l'arrêt de la Cour suprême irakienne, rendu public en février dernier, se font encore sentir aujourd'hui. Selon l'ordonnance de la plus haute autorité judiciaire du pays, la loi permettant à la région semi-autonome du Kurdistan irakien de gérer et de commercialiser ses ressources pétrolières et gazières serait "inconstitutionnelle" et le Kurdistan devrait remettre l'ensemble de sa production d'hydrocarbures au gouvernement fédéral.
Dans le cadre de cette décision, le sous-secrétaire du ministère du Pétrole, Karim Hattab, a contacté le 12 juin toutes les sociétés pétrolières et gazières étrangères opérant en Irak - dans des domaines allant de la logistique aux services en passant par le conseil - pour obtenir leur engagement à ne pas opérer dans la région du Kurdistan. Cette information est connue grâce à des documents fuités du ministère fédéral du pétrole, rapportés par Al Arab.
"Dans le cas de contrats ou de projets existants dans la région du Kurdistan, les entreprises doivent s'engager à les résilier dans les trois mois suivant la date de notification", a insisté M. Hattab dans une déclaration adressée à toutes les entreprises. Les implications de l'ordonnance de la Cour suprême vont au-delà du territoire national, compromettant également les exportations et les contrats entre le Kurdistan - qui, situé dans le nord du pays, abrite d'importantes réserves réelles et potentielles de pétrole et de gaz - et les entreprises internationales.
Ainsi, au début du mois, le Tribunal de commerce relevant de la Cour d'appel fédérale de Karkh, à Bagdad, a commencé à examiner les plaintes déposées par le ministère irakien contre sept compagnies pétrolières et gazières étrangères opérant dans les territoires kurdes. Western Zakros, Sharman, DNO, Genel Energy, HKN, AWACS et Golf Keystone sont les sociétés appelées à comparaître devant le tribunal spécialisé le 20 juin, accusées de travailler dans le pays en dehors des paramètres de la Constitution irakienne.
Le ministère des Ressources naturelles du Kurdistan a qualifié cette procédure d'"illégale". Les entreprises "effectuent leur travail conformément à la loi sur le pétrole et le gaz dans la région du Kurdistan de 2007, approuvée par le Parlement régional du Kurdistan conformément à la Constitution irakienne", a déclaré l'organisme kurde dans un communiqué de presse.
Parallèlement, le ministère kurde des Ressources naturelles a lui-même rendu publique sa plainte contre le responsable du ministère fédéral du pétrole, Ihsan Abdul Jabbar Ismail, pour avoir " profité de sa position et intimidé et harcelé les entreprises opérant dans la région du Kurdistan " afin d'interférer avec leurs contrats par le biais de lettres et d'e-mails. Il a demandé le "renvoi des dossiers déposés contre les sociétés internationales au tribunal d'Erbil pour enquête en tant que preuve d'une plainte pénale fondée sur le code de procédure pénale irakien de 1979", en faisant valoir que l'affaire devrait être résolue par les tribunaux civils du Kurdistan parce que les sociétés étrangères sont enregistrées et opèrent dans la région.
Entre-temps, comme Abdul Jabbar lui-même l'a expliqué le mois dernier, les tentatives de négociation entre les gouvernements fédéral et kurde concernant l'administration et le contrôle des hydrocarbures du Kurdistan continuent d'échouer. Alors que les autorités kurdes invoquent les articles 112 et 115 de leur constitution pour la gestion du pétrole et du gaz - qui stipulent que "tous les pouvoirs qui ne sont pas stipulés dans les pouvoirs locaux exclusifs du gouvernement fédéral appartiennent aux autorités régionales", et situent les champs postérieurs à 2005 dans cette région - le gouvernement fédéral et la compagnie pétrolière nationale, SOMO, s'en tiennent à l'article 111, qui stipule que "le gaz et le pétrole sont la propriété de tous les Irakiens dans toutes les régions et tous les gouvernorats".
Tout cela intervient dans le contexte d'une crise politique qui paralyse le pays depuis huit mois, et qui continue de convulser après la démission des 73 parlementaires du Mouvement sadriste, dirigé par le religieux Muqtada al-Sadr, à la fin de la semaine dernière. En effet, alors que l'accord sur le pétrole et le gaz entre Erbil et Bagdad continue d'être compliqué, la décision de la Cour représente en soi des contraintes importantes pour tout gouvernement irakien, même s'il tente de maintenir un ton conciliant avec le Kurdistan.
Le potentiel énergétique exhibé ces derniers mois par le Kurdistan, qui a déjà affirmé vouloir renforcer son rôle d'exportateur de gaz naturel vers le reste de l'Irak, la Turquie et l'Europe, semble constituer une menace pour l'Iran, qui s'est jusqu'à présent imposé comme l'un des principaux fournisseurs d'hydrocarbures de ces puissances.
En effet, les récentes attaques au missile à Erbil le 13 mars - revendiquées par les Gardiens de la révolution islamique iraniens - et les 6 avril et 1er mai - dont la responsabilité est inconnue mais soupçonnée d'être le fait des milices chiites pro-iraniennes de Bartella - ne font que réaffirmer l'idée que l'énergie kurde menace les revenus pétroliers de Téhéran.