Sans raison aucune la Ligue de Football professionnelle reporte, à une date ultérieure, le match de la première journée du cycle retour du championnat national de football opposant le doyen des clubs algériens, le Mouloudia Club d’Alger, à l’Etoile sportive de Ben-Aknoun, un quartier sur les hauteurs d’Alger.

Algérie,  quand le football fait peur

Mouloudia Club d'Alger
Mouloudia Club d'Alger

Deux jours plus tard, on annonce la même mesure pour l’empoignade opposant l’USM Alger au Paradou AC, un autre club d’un quartier algérois. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre les raisons réelles de ces reports. 

Le report de ces deux rencontres n’a d’autre explication que l’empêchement des supporters des clubs les plus populaires de la capitale, le MC Alger et l’USM Alger, de créer une forte ambiance et scander, comme à leur habitude, des slogans hostiles au pouvoir en place, à quelques jours de la célébration du cinquième anniversaire du « Hirak », cette révolte populaire pacifique qui a fait chuter le régime de Bouteflika en 2019.

Créé en 1921, le Mouloudia Club d’Alger est le doyen des clubs de football algériens. Il est né bien avant la création de partis politiques nationalistes revendiquant l’indépendance du pays. Le Mouloudia est plus qu’un club de football. Dès sa naissance, il fait de chacune de ses rencontres footballistiques un combat contre les clubs des colons français. Il en a été, ainsi, jusqu’à cette fameuse rencontre qui l’opposa à l’Association Sportive de Saint-Eugène, le 11 mars 1956.

Ce jour-là, le stade de Saint-Eugène (actuellement Bologhine), était un véritable champ de bataille entre le club, symbole de la lutte de libération de l’Algérie et celui des colons. Après les 90 minutes de jeu, la bataille déborde en dehors de l’enceinte et la police coloniale tire sur les supporters du Mouloudia d’Alger, laissant sur le pavé des dizaines de morts et plusieurs blessés.

C’était suffisant pour que le club algérois annonce son retrait du championnat. Il sera suivi par tous les autres clubs nés dans son giron en se distinguant soit par l’appellation « Mouloudia » rappelant la naissance du prophète de l’Islam, soit par le qualificatif « Musulman » pour se distinguer des clubs des pieds noirs.

Après l’indépendance, le Mouloudia est le club cher à tous les Algériens. Il est le seul à compter des supporters dans toutes villes et régions du pays. Il sera le premier club maghrébin à remporter, en décembre 1976, la coupe d’Afrique des clubs champions et le premier club maghrébins à remporter le triplé, championnat, coupe nationale et championnat d’Afrique. Il est le seul club algérien à drainer en dehors de ses bases plus de 25.000 supporters. À domicile, il évolue devant plus de 80.000 spectateurs.

Créé dans la Casbah d’Alger, l’antre de la révolution de novembre 1954 et de la bataille d’Alger 1957, Le MC Alger reste à ce jour symbole de toutes les revendications sociales et politiques. Ce sont ses supporters qui ont été les premiers à scander des slogans politiques hostiles au pouvoir au milieu des années 80. Ils seront imités par d’autres supporters des clubs les plus populaires du pays, l’USM Alger, l’USM EL-harrach, la JS Kabylie, le Mouloudia d’oral, le CS Constantine, etc.

Autrefois, le Mouloudia d'Alger et tous les clubs de football algériens faisaient peur aux forces coloniales. Soixante-deux ans, après l'indépendance du pays, ce sont les gouvernants de ce même pays qui ont peur des clubs de football et de leurs supporters. Des supporters qui représentent un peuple qui n'est pas prêt de plier face à un pouvoir qui le méprise et l'affame. 

Le « hirak » de 2019, bien qu’il soit né dans les villes de Khenchela, dans les Aurès, et de Kherrata, en Kabylie, c’est à Alger et sous la pression des supporters des clubs de football qu’il a grandi et pris de l’ampleur pour durer deux longues années. Il ne sera stoppé que par la pandémie de la Covid 19 ce dont profita le pouvoir en place.  Les quelques tentatives de relance sont vite étouffées par une sévère répression. Plus se 1000 détenus d’opinion jetés en prison dont plus de 400 autres sont toujours derrière les barreaux.

A l’approche de la célébration du cinquième anniversaire du « hirak » toutes les villes d’Algérie bouillonnent. Plus particulièrement la capitale et ses quartiers populaires envahis par une misère inexplicable dans un pays immensément riche en ressources pétrolières et minières.

Afin d’endiguer la relance du hirak, le pouvoir a pris les devants en incarcérant plusieurs figures de ce mouvement populaire pacifique et en maintenant celles et ceux qui constituent son encadrement, sous contrôle judiciaire et des condamnations à des peines de prison avec sursis.

C’est le cas de Fethi Gherras le coordinateur du Mouvement pour la Démocratie Sociale, Karim Tabou, Secrétaire national de l’Union Démocratique et Sociale, Mohcine Belabbas, l’ex-secrétaire général du RCD, Fodil Boumala et Saad Bouakba, tous deux journalistes interdits de publication et tant d’autres.

Outre la neutralisation de ces figures de proue du « hirak », ce sont les supporters des clubs de football les plus populaires qui sont interdits de rassemblement. Jusqu’où ira la répression ?

Le 22 février prochain, on saura plus sur ce bras de fer entre un pouvoir impopulaire imposé par la force et un peuple à bout de patience et qui ne demande qu’une chose, établir un État de droit.