Les ministres européens de la Défense et des affaires étrangères entament une course contre la montre pour approuver le premier livre blanc de l'UE sur la défense en mars

La boussole stratégique commence son compte à rebours sous la baguette de la France

PHOTO/AFP - La priorité absolue du président Macron est que les chefs d'État et de gouvernement des 27 pays de l'UE sanctionnent le Compas stratégique lors de leur sommet de la fin mars.

La France est très claire sur les objectifs prioritaires qu'elle souhaite atteindre pendant la durée de sa présidence du Conseil de l'Union européenne, un semestre qui a débuté le 1er janvier et se termine le 30 juin.

Ce n'est pas un hasard si les trois premières réunions ministérielles en format présentiel pour inaugurer la présidence française se sont tenues les 12, 13 et 14 janvier pour accueillir les ministres européens de la défense et des affaires étrangères, qui se sont d'abord réunis séparément, puis conjointement.

Ce n'est pas non plus une coïncidence si les trois réunions ont eu lieu dans la ville portuaire de Brest, principal arsenal de la marine française sur la côte atlantique. A proximité se trouve la base de la flotte de sous-marins à propulsion nucléaire équipés de missiles balistiques M51 qui, dotés de têtes nucléaires, constituent la Force Océanique Stratégique (FOST), la composante navale de la puissance militaire française qui en fait la seule puissance nucléaire de l'Union européenne.

Le président Emmanuel Macron a déclaré qu'au cours des six mois pendant lesquels l'UE sera sous le mandat de Paris, son ambition est de "passer d'une Europe de la coopération à l'intérieur de nos frontières à une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses décisions et maîtresse de son destin". Cette vision est partagée par sa ministre de la Défense, Florence Parly, qui est prête à passer de la parole aux actes afin de réaliser l'autonomie stratégique européenne maintes fois répétée à laquelle la présidente de l'UE, l'Allemande Ursula von der Leyen, prétend également aspirer. 

C'est également l'objectif du vétéran Jean-Yves Le Drian, qui, à 74 ans, est le ministre français des Affaires étrangères, après avoir dirigé le portefeuille de la défense pendant cinq ans (2012-2017) sous le président socialiste François Hollande. Dans la lignée de Macron, Le Drian affirme que "la liberté d'action européenne doit être préservée dans les océans, dans l'espace extra-atmosphérique et dans les sphères du cyber et de l'information, qui sont de nouvelles arènes en litige". Et il souligne que, avec "une Europe forte, l'Alliance atlantique en sortira plus forte et rééquilibrée".

Présence physique du ministre des Affaires étrangères et présence télématique du ministre de la Défense

Aucune des trois réunions tenues à Brest n'était de nature décisionnelle, mais toutes étaient extrêmement importantes. Sous la présidence du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, l'Espagnol Josep Borrell, le principal point à l'ordre du jour était de préciser les lignes directrices pour finaliser la rédaction de la "Compas stratégique", première et principale priorité de la présidence française.

Considéré comme le premier Livre blanc de la défense de l'Union européenne, c'est un document consensuel qui analyse les menaces auxquelles Bruxelles est confrontée et les grands bouleversements mondiaux qui pourraient avoir un impact sur les citoyens et les intérêts des pays du Vieux Continent. Ses promoteurs souhaitent que le contenu de la boussole stratégique soit "audacieux et viable, mais pas inamovible", qu'il capture la "vision stratégique commune" et qu'il constitue le "cadre qui devrait guider et apporter des réponses à la politique européenne de défense et de sécurité jusqu'en 2030".

La tâche n'est pas facile. Il est un fait que les 27 pays membres de l'Union européenne partagent de nombreuses valeurs mais présentent de sérieuses divergences d'intérêts. Par exemple, la Pologne et les trois États baltes craignent que le Compas stratégique et la mise en œuvre du concept d'autonomie stratégique ne les éloignent des États-Unis et de l'OTAN. Ce sont les deux piliers qui sous-tendent l'essentiel de la défense européenne, notamment vis-à-vis de la Russie, dont les pays autrefois sous orbite soviétique se méfient des réactions. 

Mais le pouvoir français mettra tout en œuvre pour aplanir les divergences de vues entre les 27 pays, en vue d'élaborer un texte à haut niveau d'ambition. L'Elysée souhaite que le projet final soit achevé dans un délai de neuf semaines, afin que la boussole stratégique puisse être approuvée par les ministres des Affaires étrangères et de la défense le 21 mars. Si cet objectif est atteint, il pourrait être entériné lors du sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil européen qui se tiendra à Bruxelles les 24 et 25 mars.

Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, était l'un de ceux qui ont participé aux réunions informelles de Brest. La ministre de la Défense, Margarita Robles, n'était pas physiquement présente car elle avait d'autres engagements. Le 12, elle s'était rendue à Pontevedra pour constater de visu la contribution du personnel militaire de la VIIe brigade de Galice aux tâches de dépistage et de vaccination contre la pandémie de COVID-19.

Une responsabilité de l'Espagnol Josep Borrell

Le lendemain, 13 janvier, il a rendu visite au JAL de Madrid, qui se consacre essentiellement au soutien des navires, des armes et du matériel de la marine espagnole. Après la visite du JAL et à son retour au siège du ministère, Margarita Robles "s'est connectée par liaison télématique et a participé par vidéoconférence à la réunion des ministres de la défense à Brest", confirment des sources officielles de son département.

La France insiste sur le fait que la boussole stratégique doit contenir des critères afin que Bruxelles puisse prendre des initiatives pour garantir les intérêts et la liberté d'action de l'Union. La première version rédigée par le Service européen d'action extérieure, avec les contributions des 27 nations, a été présentée à la mi-novembre 2021 par Josep Borrell aux ministres des affaires étrangères et de la défense. Mais il a encore plus qu'un point d'ébullition à atteindre.

Que contient la boussole stratégique ? Il est structuré autour de quatre piliers. Le premier est axé sur l'amélioration de la capacité à répondre aux situations de crise ou d'urgence. Paris vise à créer une force de déploiement rapide d'environ 5 000 hommes sous le drapeau de l'UE, qui pourra être mobilisée lorsque la situation l'exigera. Un deuxième fondement consiste à renforcer la résilience aux menaces hybrides, à la fois pour s'en protéger et pour y répondre. L'objectif est de préserver les intérêts européens en matière de cybersécurité, de sécurité maritime et de sécurité spatiale.

Un troisième domaine vise à développer de nouvelles capacités et à dynamiser l'industrie européenne de la défense. C'est pourquoi le commissaire européen chargé du marché intérieur, le Français Thierry Breton, a assisté aux réunions. La France entend mener l'européanisation de la plupart des systèmes d'armes des forces armées de l'UE et accroître les investissements dans la R&D et les technologies de rupture dans les domaines maritime, aérien, terrestre, spatial et cybernétique.

Le quatrième et dernier pilier est consacré au renforcement de la coopération de Bruxelles avec les autres acteurs internationaux, notamment l'OTAN, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l'Union africaine, les États-Unis et le Canada. Elle cherche également à améliorer les instruments permettant de projeter la stabilité en dehors du cadre de l'UE.