Erdogan menace Biden de maintenir sa position sur les S-400
Le bras de fer entre Ankara et Washington continue. La rencontre entre Joe Biden et Recep Tayyip Erdogan qui s'est tenue lundi à l'occasion du sommet annuel de l'OTAN, si elle a permis aux deux dirigeants d'établir un premier contact, n'a donné lieu à aucune avancée concrète. De plus, la rencontre a permis au président turc de réaffirmer sa position sur le principal différend qui entrave leurs relations bilatérales.
Erdogan a révélé jeudi les termes de sa conversation avec le président Biden. Selon sa version, le dirigeant ottoman a dit à son homologue américain que la Turquie maintiendrait à tout prix sa position sur l'acquisition du système antimissile russe, qui est à l'origine des frictions entre les deux pays.
La Turquie, l'un des principaux membres de l'OTAN, a acheté le système de défense antiaérien s-400 à la Russie en 2017 pour 2,5 milliards de dollars. L'acquisition a contrevenu aux termes de l'Alliance atlantique, puisque, selon ses partenaires, le système est incompatible avec ceux utilisés par l'organisation.
Cependant, depuis Ankara, on prétend que les États-Unis n'ont offert aucune alternative. "En ce qui concerne le S-400, nous avons demandé des Patriots [système de défense antimissile américain] et ils ne les ont pas fournis. Au contraire, ils ont retiré ceux qui étaient déployés dans nos bases", a ajouté le président turc.
Selon Washington, la liaison du s-400 aux systèmes de défense de l'organisation aurait posé des risques de sécurité opérationnelle et aurait permis à la Russie d'accéder aux données recueillies par les chasseurs F-35.
Les États-Unis, l'un des principaux membres de l'organisation transatlantique, ont exigé que la Turquie renonce à cette opération. Malgré les avertissements, le gouvernement Erdogan a accepté la première des quatre batteries de missiles S-400 du Kremlin en juillet 2019.
En vertu de la loi Countering America's Adversaries Through Sanctions Act, adoptée en juillet 2017, tout gouvernement étranger qui coopère avec la Russie en matière de Défense "se retrouvera dans le collimateur des sanctions économiques américaines."
Pour cette raison, l'administration Trump a imposé une batterie de sanctions aux responsables turcs impliqués dans la transaction en décembre de la même année et a retiré la Turquie du programme d'achat d'avions de combat F-35, dont Ankara était impliqué en tant que financier et producteur.
"J'ai dit [à Biden] qu'ils ne devaient pas s'attendre à ce que la Turquie adopte une démarche différente sur les questions des F-35 et des S-400, car nous avons fait ce que nous devions faire pour les F-35 et nous avons donné l'argent nécessaire", a déclaré Erdogan aux journalistes dans la capitale azérie lors d'une visite diplomatique.
Erdogan a déclaré que la position de la Turquie sur cette question était irréversible et qu'elle ne chercherait donc pas à prendre de nouvelles mesures pour satisfaire les intérêts des États-Unis. Depuis Ankara défend qu'il n'y a pas de conflit entre les deux, qui a rempli ses obligations concernant le F-35 et que sa suspension dans le programme "était contraire aux règles".
L'annonce du président turc contraste avec les déclarations du conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, qui a annoncé après la réunion de lundi un engagement conjoint à "poursuivre le dialogue" sur les S-400 et le début d'un suivi par les deux délégations.
En tout état de cause, le système antimissile acquis par Ankara n'est pas encore entré en service. Selon des responsables turcs interrogés par Middle East Eye, la stratégie de Washington consiste à contrôler les S-400 et à empêcher leur activation, qu'ils interprètent comme un affront à la souveraineté turque.
Lors de leur entretien de lundi à Bruxelles,Biden et Erdogan ont discuté pendant 45 minutes en tête-à-tête, et plus d'une heure et demie en compagnie de leurs délégations, d'un large éventail de questions géostratégiques qui fixent l'ordre du jour des relations américano-turques.
Malgré les différends, la ligne entre Washington et Ankara croise également des fronts communs. Le principal défi est l'Afghanistan, où le retrait des troupes américaines et alliées depuis le 11 septembre ouvre un scénario incertain pour la population locale, menacée par la présence croissante des talibans.
Le soutien de la Turquie sur cette question a été souligné par l'offre de gérer et de protéger l'aéroport international Hamid Karzai de Kaboul après le retrait des forces étrangères. Les talibans ont toutefois exigé qu'Ankara se retire avec le reste des forces de l'OTAN et ont mis en garde Erdogan contre une "grosse erreur".
Les talibans ont également refusé de participer à une conférence de paix organisée par la Turquie en avril. Toutefois, Erdogan a rassuré ses partenaires de l'OTAN en leur disant qu'il poursuivrait ses négociations avec la faction fondamentaliste afghane et qu'il n'y aurait aucun problème avec la planification de la mission aéroportuaire.
Les États-Unis ont accepté cette proposition lundi et M. Biden lui-même s'est engagé à soutenir Ankara sur le plan économique et militaire, tandis que le chef de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré lundi que la Turquie jouerait un rôle clé.
"Les dirigeants se sont clairement engagés à ce que la Turquie joue un rôle de premier plan dans la sécurisation de l'aéroport international Hamid Karzai et nous travaillons maintenant sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir", a déclaré Jake Sullivan dans une déclaration rapportée par Reuters.
Cependant, la divergence d'intérêts entre Washington et Ankara domine leurs relations bilatérales. Dans ses remarques de jeudi, Erdogan a qualifié d'"erreur historique" le fait qu'un pays favorise les groupes terroristes que son allié combat, au lieu de soutenir son allié qui est visé par le terrorisme.
"Ceux qui soutiennent les groupes terroristes et les encouragent se rendront tôt ou tard compte de la grosse erreur qu'ils ont commise", faisant référence au soutien américain aux YPG dans le nord de la Syrie pour combattre Daesh, une organisation kurde liée - selon Ankara - au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), classé "organisation terroriste" par la Turquie, l'UE et même les États-Unis.
Quoi qu'il en soit, les relations entre Washington et Ankara sont entrées dans une nouvelle phase en raison de la stratégie d'apaisement en politique étrangère initiée par le gouvernement turc et de la nouvelle ligne de conduite proposée par l'administration Biden. Les deux parties s'efforcent de rapprocher leurs positions, de sorte qu'une période de stabilité se profile à l'horizon.