L'Algérie n'a toujours pas restitué le corps d'une des personnes tuées lors de l'incident de Saïdia
Près d'un mois après l'assassinat de deux ressortissants franco-marocains, Bilal Kissi et Abdelali Mchiouer, par l'armée algérienne au large de Saïdia, les proches de Mchiouer n'ont toujours pas reçu son corps. A cet égard, les avocats de la famille ont dénoncé le blocage politique d'Alger, qui a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc en août 2021 après de multiples différends.
Par l'intermédiaire de ses représentants légaux, la famille d'Abdelali Mchiouer a annoncé avoir saisi le rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires pour qu'une enquête soit menée. Par ailleurs, lors d'une conférence de presse tenue en début de semaine, les proches ont exprimé leur désarroi face aux obstacles qui empêchent encore le rapatriement de la dépouille d'Abdelali Mchiouer.
Suite à l'incident survenu dans la zone frontalière maritime près de Saïdia, le corps de Bilal Kissi a été poussé par les courants marins jusqu'au côté marocain de la frontière. Suite à ses obsèques, une plainte a été déposée à Paris pour assassinat, tentative d'assassinat, détournement de bateau et non-assistance à personne en détresse.
Alors que des procédures administratives étaient engagées de part et d'autre pour renvoyer au Maroc le corps d'Abdelali, conservé à la morgue de Tlemcen, les avocats de la famille ont assuré qu'il n'y avait initialement aucune objection à ce rapatriement, qui ne nécessiterait qu'un laissez-passer consulaire du Maroc pour permettre le transfert du cercueil jusqu'au poste-frontière.
Mais la longue attente qui s'est écoulée depuis a révélé certains obstacles. "On ne peut pas, en 2023, s'asseoir sur les corps de vacanciers innocents tués à l'arme lourde par des militaires", a déclaré Me Hakim Chergui, l'avocat de la famille Abdelali, ainsi que deux autres avocats, Me Ouadie Elhamamouchi de Paris et Me Ghizlane Mouhtaram de Casablanca, lors de la conférence de presse de cette semaine, selon Yabiladi.
"En ce qui concerne la famille Mchiouer et la restitution du corps d'Abdelali, toujours détenu par les autorités militaires, la procédure a commencé le 8 septembre et s'est poursuivie jusqu'au 15 du même mois", a expliqué l'avocat. Selon Chergui, le consulat du Maroc a fait "tout le nécessaire exigé par les autorités algériennes".
"Pour l'instant, nous attendons depuis plus d'une semaine une réponse des autorités militaires algériennes. Nous sommes dans une situation qui s'apparente à un blocus, mais cela ne veut pas dire que les autorités algériennes refusent de restituer les dépouilles. Il est encore trop tôt pour le dire", a-t-il ajouté.
L'avocat a regretté "l'absence totale de volonté politique de résoudre ce conflit de la manière la plus saine possible". C'est pourquoi le rapporteur spécial des Nations unies a été contacté. "Le moment est venu d'intensifier notre lutte sur la scène internationale. Il est inconcevable de rester indifférent, en 2023, à la disparition brutale de vacanciers innocents, victimes des balles d'une armée. Nous ouvrirons et activerons toutes les voies possibles du droit international pour que justice soit faite", a-t-il assuré.
Lors de sa rencontre avec la presse, l'avocat a également fait part de la douleur de la famille face à cette perte tragique, ainsi que de l'injustice de n'avoir toujours pas pu organiser des funérailles dignes pour le défunt. Me Chergui a également indiqué que le parquet algérien ne coopère plus avec les autorités consulaires marocaines sur le plan judiciaire.
Au cours de la même conférence de presse, Haj Mostafa Mchiouer, père du défunt Abdelali, a démenti toute fausse information concernant une demande de rançon en échange du rapatriement de la dépouille. "La famille n'est pas en contact avec des agences gouvernementales et nous n'avons reçu aucune demande financière de la part de l'Algérie concernant le retour du corps", a-t-il souligné.
Cependant, face à la paralysie des procédures administratives en Algérie, les proches d'Abdelali Mchiouer ont contacté le président algérien, Abdelmadjid Tebboune. Dans une lettre à laquelle Yabiladi a eu accès, ils demandent de faciliter le rapatriement de la dépouille du défunt, au nom de la dignité humaine. "Cette tragédie est épouvantable pour nous et nos proches. La vague d'émotion qu'elle a suscitée est immense : nous n'en voyons pas la fin. Et si nous n'en voyons pas la fin, Monsieur le Président de la République, c'est parce que plus de trois semaines après sa mort, nous n'avons pas été autorisés à enterrer notre fils qui, rappelons-le, n'était ni un criminel ni un ennemi de l'Algérie", écrit la famille.
"Le corps d'Abdelali est toujours prisonnier de l'inertie des bureaucrates. Cette situation doit nous interpeller tous, en tant qu'Algériens, en tant que Marocains et en tant que Musulmans", souligne également la famille. "Au-delà de nos convictions, de nos différences, de nos parenthèses, la seule considération due à un mort doit être humaine. Humaine tout simplement", concluent-ils.
Le 29 août dernier, Bilal Kissi et Abdelali Mchiouer ont été abattus par les garde-côtes algériens après que les deux Franco-Marocains se soient égarés dans les eaux territoriales marocaines et algériennes lors d'une excursion en jet ski au large de Saïdia. Ismaïl Sannabi, blessé lors de la fusillade, est toujours détenu en Algérie.