Les programmes d'armement qui attendent Macron ou Le Pen à l'Elysée
Les plus hautes autorités politiques, militaires et industrielles françaises sont en alerte suite à l'annonce faite le 27 février au Bundestag par le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz. Le remplaçant d'Angela Merkel s'est engagé à porter le budget de la défense à 2 % du PIB afin de renforcer ses forces armées.
La première surprise et les élections générales du 10 avril passées, Paris s'apprête à réactiver les principaux programmes d'armement qu'elle développe conjointement avec Berlin. Conscient de ses contraintes financières, le gouvernement français les a maintenus en suspens dans l'attente du résultat des élections qui se terminent le 24 avril.
Qu'Emmanuel Macron gagne le second tour et retourne à l'Élysée, ou que Marie Le Pen l'emporte et devienne la première femme présidente de la République, l'un ou l'autre devra décider du sort des grands projets de coopération militaire que la France partage avec l'Allemagne et qui restent au point mort.
Les relations de défense entre Berlin et Paris sont cruciales pour les deux pays et sont solides depuis plus de six décennies, mais avec des hauts et des bas. Elle prend la forme du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, qui réunit tous les six mois le président français et le chancelier allemand, leurs ministres de la Défense et des Affaires étrangères, ainsi que les chefs d'état-major des forces de défense, terrestres, navales et aériennes.
Le Conseil revêt une grande importance lorsqu'il s'agit de donner le feu vert à de nouveaux programmes d'armement. Le dernier accord majeur entre les deux pays pour développer des systèmes d'armes en coopération remonte au 13 juillet 2017. C'était au palais de l'Élysée à Paris, lors du sommet présidé par le président français Emmanuel Macron, alors fraîchement nommé, et la chancelière allemande Angela Merkel, en poste depuis longtemps.
Il y a plus de cinq ans, dans la capitale de la Seine, étaient jetées les bases du nouveau cadre de coopération en matière de systèmes d'armement qui est désormais en place. Les deux nations disposent d'un tissu industriel militaire de proportions similaires, possèdent les entreprises de défense les plus grandes et les plus importantes de l'Union européenne et, par conséquent, partagent le leadership politique et industriel des initiatives qu'elles entreprennent, même si elles autorisent la participation de pays tiers.
Cependant, les ministères de la Défense et les industries allemandes et françaises défendent leurs intérêts légitimes respectifs en matière de souveraineté, de technologie et d'affaires, si bien que certains projets sont plus réussis que d'autres, même s'ils sont communs. Sur les cinq grandes initiatives en cours, une seule (Eurodron) est encore sur les rails, bien qu'elle ait pris plusieurs années de retard. Les quatre autres sont soit mortellement blessés (MAWS), soit bloqués (FCAS et Tiger Mk III), soit en sommeil (MGCS).
Ils attendent un nouvel élan de la part de l'imminent président français et de celui qu'il nommera comme ministre de la Défense. Dans le cas de Macron, depuis juin 2017, la titulaire est Florence Parly, diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris. Le portefeuille de la Défense du chancelier Scholz est occupé par Christine Lambrecht, une avocate. Lors du dernier mandat d'Angela Merkel, Ursula von der Leyen (2013-2019) - aujourd'hui présidente de la Commission européenne - a été remplacée par Annegret Kramp-Karrenbauer (2019-2021).
La plus importante de ce quintet d'initiatives est le système d'armes de nouvelle génération (NGWS), auquel sont associés plusieurs piliers technologiques, dont le futur avion de combat européen (FCAS), auquel l'Espagne participe. En août, les trois nations ont signé l'accord interministériel pour entreprendre les phases 1B et 2 du projet, qui doit se conclure en 2027 par le vol de l'avion démonstrateur. Mais le pacte industriel est bloqué depuis neuf mois.
Un grave différend persiste entre la société qui dirige le programme, la société française Dassault Aviation, et la société représentant les intérêts allemands, Airbus Defence & Space GmbH, et la société espagnole Indra. Essentiellement, la cause qui retarde la signature du contrat est la question de savoir si les entreprises concernées peuvent ou non partager le système de contrôle de vol et les technologies furtives, ce qui relève de la responsabilité de Dassault, qui refuse de le faire. L'arrivée du nouveau président de la République pourrait sortir le projet de l'impasse dans laquelle il se trouve actuellement.
Le Main Ground Combat System, ou MGCS, est piloté, sur le plan politique, par l'Allemagne et, sur le plan industriel, par le constructeur de véhicules militaires Krauss-Maffei-Wegmann. En collaboration avec les entreprises françaises Nexter et Thales et l'entreprise allemande Rheinmetall, elle vise à développer un nouveau char de combat pour remplacer le Léopard 2 allemand et le Leclerc français d'ici le milieu des années 2030. Toutes deux ont été conçues dans les années 1970 et développées dans les années 1980.
En réalité, le MGCS est destiné à définir toute une famille de véhicules de combat lourds et légers avec ou sans équipage. La star du projet sera un char armé d'un canon à tir rapide d'un calibre de 120 millimètres ou plus, capable de tirer des projectiles létaux avec de nouveaux systèmes de guidage, intégrant des armes à énergie laser et présentant une grande capacité de survie dans des scénarios de haute intensité.
Le troisième programme est l'avion de patrouille maritime (MAWS), où la France est "déçue", déclare Joël Barre, le directeur général de l'armement français. Après avoir défini l'architecture et les options pour remplacer l'Atlantique 2 de la Marine française et le P-3C Orion allemand en 2035, Berlin a décidé d'acquérir le P-8A Poseidon américain de Boeing. En d'autres termes, elle a mis en péril la continuité du système MAWS, une solution basée sur des modèles d'avions Airbus enrichis de technologies européennes de Thales, Hensoldt et Diehl. Le nouveau président français et le chancelier Scholz ont le dernier mot pour relancer le MAWS.
L'hélicoptère de combat Tiger Mk III est également dans la balance. Bien qu'il s'agisse de la prochaine génération d'un projet d'Airbus franco-allemand remontant au milieu des années 1980, Berlin a décidé de ne pas s'y engager. Au lieu de cela, la France, avec 67 appareils, et l'Espagne, avec 18, ont accepté de développer de nouvelles technologies pour le nouveau Tigre, ce qui prolongera sa durée de vie opérationnelle jusqu'en 2045 au moins. La conversion sera effectuée dans l'usine d'Airbus Helicopters España à Albacete. L'absence de participation de l'Allemagne appauvrit le résultat final, bien que Berlin ait donné l'espoir d'entrer dans le projet cette année.
Celui qui, après avoir progressé à un rythme lent, a pris sa vitesse de croisière depuis janvier est l'Eurodron. D'origine antérieure à 2017, il implique l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne et consiste à développer un système aérien piloté à distance pour des missions de reconnaissance, de surveillance et d'acquisition de cibles. Il est géré par l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr) et la responsabilité industrielle incombe à la société allemande Airbus Defence & Space GmbH.
La compétition pour équiper les avions d'une paire de turbopropulseurs a opposé la société française Safran à la société italienne Avio, qui l'a emporté. À l'exception du programme Eurodron, qui marche déjà tout seul, Macron ou Le Pen devront tenter de faire décoller les initiatives bloquées dès qu'ils seront assis dans le fauteuil présidentiel.