Un monde en transition : les clés de la défense et de la sécurité
Face aux menaces croissantes des régimes autocratiques, à l'érosion des valeurs démocratiques, à la montée du populisme et à l'émergence de nouvelles formes de conflit - telles que la guerre numérique, la désinformation ou l'utilisation militaire de l'intelligence artificielle -, l'Europe est confrontée au défi urgent de redéfinir son modèle de sécurité. Dans ce contexte, renforcer l'autonomie stratégique et adapter la défense à un environnement mondial en mutation devient une priorité incontournable.
Pour aborder ces questions, la deuxième journée du XXXVIIe Séminaire sur la défense et la sécurité, organisé par l'Association des journalistes européens (APE), s'est tenue. Dans un contexte mondial marqué par l'incertitude, les changements technologiques et les nouvelles menaces, cet événement a réuni des experts nationaux et internationaux de renom afin de débattre, à travers trois tables rondes thématiques, du rôle essentiel de la défense dans un monde en constante mutation. Tout au long des sessions, l'accent a été mis sur la nécessité de s'adapter à cette mobilité stratégique et sur l'importance de maintenir une vision claire du rôle de l'Europe, de l'innovation technologique et de la lutte contre la désinformation.
- La défense de l'Europe dans un monde qui défie l'Occident
- La politique étrangère et la défense comme solution
- Risques pour les investissements dans la défense
- L'espace
- Le rôle de l'IA
- Une nouvelle ère : la maîtrise cognitive et un plan d'« opérations multidomaines »
Le séminaire était structuré en trois grands blocs. Le premier, intitulé « L'OTAN : valeurs fondamentales, pilier européen et regard vers le SUD », a réuni Margaritis Schinas, ancien vice-président de la Commission européenne, María Dolores de Cospedal, ancienne ministre de la Défense, Pascal Boniface, directeur de l'Institut IRIS en France, et était modéré par la journaliste Araceli Infante. Le deuxième panel était consacré à « L'intelligence artificielle et les nouveaux espaces de combat », avec des interventions d'experts tels que David Ramírez Morán, représentant de l'IEEE, Javier Izquierdo, responsable de Hispasat, et le général de brigade Carlos Javier Frías, sous la modération de Juan José Fernández, journaliste à El Periódico. Enfin, le dernier débat s'est déroulé sous le titre « Les défis de la défense à l'ère de la désinformation », avec la participation du général de division Fernando Morón Ruíz et une conclusion institutionnelle par Diego Carcedo et Miguel Ángel Aguilar, respectivement président et secrétaire général de l'APE. e división Fernando Morón Ruíz y un cierre institucional a cargo de Diego Carcedo y Miguel Ángel Aguilar, presidente y secretario general respectivamente de la APE.
La défense de l'Europe dans un monde qui défie l'Occident
Depuis le sommet de l'OTAN à La Haye, où les chefs d'État et de gouvernement ont convenu de progresser vers un niveau de dépenses de défense de 5 % du PIB au cours de la prochaine décennie, un débat crucial sur le rôle stratégique de la défense en Occident a été relancé. Cet engagement, fortement soutenu par les États-Unis, bien qu'il ne soit ni nouveau ni exclusif à l'administration Trump, répond à une transformation profonde de l'ordre international.
Nous vivons dans un monde où les grandes puissances agissent de plus en plus selon une logique transactionnelle, guidées par leur propre intérêt et par la conviction que seul le plus fort survit. Comme Hobbes le prévoyait déjà dans « Léviathan », nous sommes confrontés à une « guerre de tous contre tous », où le pouvoir s'impose au-dessus des règles. Pendant ce temps, l'Europe est restée ancrée dans sa défense du multilatéralisme, de la diplomatie et de l'État de droit, même lorsque de nombreux acteurs opèrent ouvertement en recourant à la force (hard power), sans se soucier de la légitimité ou du consensus.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, nous avons pris conscience que les conflits armés à grande échelle ne reviendraient pas en Europe. Cette guerre a secoué la conscience collective du continent et a généré un nouveau sentiment d'urgence.
Aujourd'hui, l'Europe et l'Occident sont confrontés à une double menace : une menace externe et une menace interne. D'une part, des régimes autoritaires défient ouvertement nos valeurs et tentent d'imposer des modèles alternatifs fondés sur le contrôle, la censure et la force. D'autre part, la désunion interne s'accentue : fragmentation politique, scepticisme des citoyens, désinformation et absence de voix commune. Cet affaiblissement interne a laissé un vide, en particulier dans ce qu'on appelle le « Sud global », dont ces mêmes acteurs autocratiques tirent parti pour gagner en influence.
La politique étrangère et la défense comme solution
Selon l'ancien vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas, pour faire face à cet environnement en mutation, l'Europe doit corriger sa politique étrangère et remédier à l'absence d'une voix diplomatique unifiée.
Le problème ne vient pas des personnes, mais du fait que la politique étrangère européenne n'existe pas en tant que telle, car elle est paralysée par le système de veto : n'importe quel État membre peut bloquer une position commune, ce qui nous fait paraître faibles et peu sérieux aux yeux du monde. Un exemple clair est le vote de trois résolutions différentes sur le Moyen-Orient à l'ONU, ce qui est impensable dans une politique étrangère cohérente.
Comme l'a averti le directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques, Pascal Boniface, notre silence face à des conflits clés est dangereux : nous sommes critiqués pour notre inaction, et notre prétendue autorité morale et stratégique est remise en question. Nous avons demandé à Israël de mettre fin à certaines actions, mais nous n'avons rien fait à cet égard, ce qui rend notre position ridicule.
Le deuxième grand domaine dans lequel l'Europe doit s'améliorer, selon Schinas, et peut-être le plus important, est la défense. Heureusement, un consensus se dégage parmi les chefs d'État et de gouvernement : il est temps d'agir, car nous ne pourrons pas toujours compter sur un bouclier extérieur pour nous protéger. Tout cela doit se faire dans le cadre de l'OTAN, mais de manière plus coordonnée, plus cohérente et avec une plus grande autonomie opérationnelle. Comme l'a déclaré la ministre de la Défense, les Européens ont construit « un projet politique sans équivalent dans le monde ». À travers la défense, nous recherchons non seulement la sécurité des frontières, mais aussi la protection d'un modèle de vie fondé sur la bonne gouvernance et sur des valeurs qui ont émergé après la Seconde Guerre mondiale et qui doivent continuer à prévaloir.
Risques pour les investissements dans la défense
Une opportunité macroéconomique majeure s'ouvre pour les pays européens : la possibilité qu'une partie des dépenses de défense ne soit pas comptabilisée dans le déficit public. Cela permettrait aux États d'investir davantage dans leurs capacités militaires sans enfreindre les règles budgétaires strictes de l'Union européenne. Toutefois, cette flexibilité doit être utilisée de manière responsable. Convertir cette marge fiscale en dépenses inefficaces ou alimentant l'inflation serait une grave erreur. La Banque centrale européenne ne tolérera cette exception que si elle se traduit par une amélioration réelle de la capacité de défense européenne, et non par du gaspillage ou des politiques improvisées.
D'autre part, il existe des forces populistes, tant d'extrême droite que d'extrême gauche, qui s'opposent à cette Europe de la défense, comme on l'a vu en France ou en Espagne. Le populisme a tendance à privilégier les politiques à court terme et à fort impact populaire, telles que les subventions ou les augmentations de salaire, au détriment des investissements stratégiques à long terme, mettant ainsi en péril la modernisation militaire ou le développement technologique dans le domaine de la défense.
L'espace
Ces dernières années, l'utilisation de l'espace, en particulier des systèmes de communication et des satellites, a joué un rôle clé dans la défense et la guerre modernes. Bien que ce ne soit pas une nouveauté absolue, l'intérêt s'est accru, en particulier en Europe. Par exemple, en Espagne, il existe déjà une entreprise spécialisée dans le développement de satellites militaires, qui permettent au ministère de la Défense de disposer de communications sécurisées et d'une observation stratégique, en particulier lors de missions à l'étranger.
Dans ce nouveau contexte, l'Europe cherche à acquérir une souveraineté stratégique dans le domaine spatial et à réduire sa dépendance vis-à-vis de puissances telles que les États-Unis. Cette autonomie implique la possibilité d'exploiter ses propres systèmes si, par exemple, une puissance alliée comme les États-Unis décide de couper l'accès à certaines technologies (comme cela s'est produit avec l'Ukraine et Starlink).
Le programme européen IRIS² a été mentionné, une initiative qui vise à créer une constellation de satellites européens. Il ne s'agit pas d'une concurrence directe avec Starlink (le système de SpaceX), mais il vise à créer une couche de communications sécurisée et autonome en Europe, avec des applications tant civiles que militaires.
En outre, il a été souligné que l'industrie spatiale européenne doit collaborer entre les pays, car aucun pays ne peut développer seul un système complet. Même les États-Unis agissent en tant que client ou partenaire dans certains domaines, ce qui montre que l'interdépendance technologique est inévitable, mais doit être gérée avec équilibre.
Le rôle de l'IA
Jusqu'à récemment, dans la plupart des armées du monde, l'IA était plus une promesse qu'une réalité concrète. Cependant, la guerre en Ukraine a marqué un tournant important. Alors que l'armée russe était censée être plus avancée sur le plan technologique, c'est l'Ukraine qui a réussi à appliquer de manière créative des outils commerciaux d'IA sur le champ de bataille. Un exemple notable est la manière dont les applications qui servaient auparavant aux citoyens pour signaler aux municipalités les dommages causés aux infrastructures (tels que les lampadaires cassés ou les nids-de-poule) ont été adaptées pour permettre aux civils de signaler la position des troupes ou des équipements ennemis. Cela démontre la puissance de la « technologie à double usage », où des outils courants ont été transformés en ressources stratégiques dans un conflit réel.
Concrètement, l'IA offre aujourd'hui deux grands types d'applications dans le domaine militaire : l'intelligence prédictive et l'intelligence cognitive. La première, qui est la plus développée, analyse d'énormes volumes de données afin d'identifier des modèles statistiquement significatifs, ce qui permet d'améliorer considérablement l'efficacité du renseignement militaire. Dans le passé, le problème était le manque d'informations : les armées consacraient d'énormes efforts à localiser l'ennemi. Aujourd'hui, avec des centaines de milliers de capteurs déployés sur le champ de bataille, le véritable défi consiste à organiser toutes ces informations, à sélectionner celles qui sont vraiment utiles et à le faire en temps réel, ce qui rend l'IA prédictive indispensable.
Une nouvelle ère : la maîtrise cognitive et un plan d'« opérations multidomaines »
Dans le contexte actuel, les armées occidentales sont clairement désavantagées : elles sont restées attachées à des règles traditionnelles de conflit qui ne correspondent plus à la réalité. Alors que nos démocraties exigent une déclaration formelle, des protocoles et des justifications pour agir, d'autres acteurs opèrent dans ce qu'on appelle la « zone grise », un espace ambigu entre la paix et la guerre. C'est dans ce domaine que se déploient des stratégies hybrides, qui combinent des tactiques militaires conventionnelles avec des outils non conventionnels tels que la désinformation, les réseaux sociaux, les cyberattaques ou le recours à des acteurs non identifiables, comme les fameux « petits hommes verts » en Crimée.
Pour faire face à ces défis, tant l'Europe que l'OTAN s'orientent vers le concept d'« opérations multidomaines », comme l'a souligné le général de division Fernando Luis Morón Ruiz. Les cinq espaces de confrontation sont intégrés : terre, mer, air, cyberespace et domaine cognitif. Cette innovation représente une nouveauté cruciale : la guerre ne se livre plus uniquement avec des armes, mais aussi dans l'esprit humain, où l'on tente d'influencer, de manipuler ou de déstabiliser l'adversaire par une combinaison synchronisée d'instruments de pouvoir. Face à cette guerre cognitive, l'un des objectifs clés de l'OTAN est de renforcer la résilience psychologique, en encourageant la maîtrise de soi, la stabilité émotionnelle, la confiance dans les valeurs démocratiques et la capacité de jugement autonome. Cette résilience est essentielle pour maintenir la cohésion sociale et militaire face aux attaques invisibles mais dévastatrices de l'ère hybride. En ce sens, l'éducation aux médias apparaît comme un outil indispensable pour se défendre contre la manipulation et préserver une citoyenneté informée et critique.