Le peuple algérien célèbre le 5ème anniversaire du Hirak, l’insurrection pacifique
Vendredi 22 février 2019, une date qui restera, à jamais, gravée en lettres d’Or dans l’histoire de l’Algérie. D’ailleurs, elle figure en bonne place dans le préambule de la constitution adoptée le 1er novembre 2020. Ce jour-là, tel un ouragan, le peuple algérien déferle dans toutes les villes et villages du pays revendiquer la fin d’un régime qui l’aura trop asservi, pillé, appauvri et humilié.
On retient cette date du 22 février pour la simple raison que c’est la capitale jusqu’ici plongée dans une incroyable passivité, s’est subitement réveillée. Quelques semaines plus tôt, Khenchela, dans les Aurès, la ville de naissance de la reine guerrière berbère Kahina, avait donné le coup d’envoi en saccageant un portrait géant du général de corp d’armée Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la défense nationale et chef d’état-major de l’armée, symbole d’une caste militaire gardienne du temple honni, où trônait un Abdelaziz Bouteflika impotent depuis son AVC du mois d’avril 2013.
Le 15 février, c’est la ville de Kherrata, de la petite Kabylie, qui a marqué l’histoire par la révolte du 8 mai 1945 contre l’armée coloniale, qui donnera écho à l’appel de Khenchela comme ce fut en 1954 lorsque le Djurdjura de la Kabylie répondit à l’Aurès des Chaouias pour engager une lutte de libération qui ne prendra fin que sept années et demie, plus tard. En 1962.
Avec l’embrasement d’Alger et des autres villes du pays, l’insurrection pacifique a pris une dimension nationale. Tout comme la révolution armée de novembre 1954, elle s’était inscrite dans la durée. Chaque vendredi des millions d’Algériennes et d’Algériens, aux quatre coins du pays, sortaient manifester dans les rues appelant à la chute du régime. Une chute qui passait par l’abdication de Bouteflika candidat à un cinquième mandat malgré son lourd handicap physique et un quatrième mandat durant lequel il était totalement absent.
Les étudiants, comme pour imiter leurs aînés des années de la guerre de libération, ont choisi le mardi pour sortir en masse porter les mêmes revendications. Ils ont sacrifié une année universitaire prix de leur engagement pour la libération de l’Algérie du joug d’un pouvoir qui se définit comme « gang » par son propre chef, le général Ahmed Gaïd Salah.
Sous la forte pression de la rue la rue, ce même Gaïd Salah dépose Bouteflika en le contraignant à la démission. Il avait agi de la sorte pour répliquer au frère cadet du président, Saïd Bouteflika, le véritable chef de l’Etat par procuration, qui projetait de le limoger afin d’avoir les coudées franches.
C’était un coup d’Etat contre Abdelaziz Bouteflika, qui était à une poignée de jours de la fin de son mandat, et un véritable hold-up contre la volonté du peuple. L’armée venait de s’emparer de force de la révolution du peuple, « le hirak ». Le coup de force du vieux soldat, alors âgé de 79 ans, est présenté comme « une réponse aux attentes des millions de manifestants ». Mais, le peuple n’est pas dupe.
Chaque vendredi, Gaïd Salah entendait des vertes et pas mûres scandées par les manifestants, à son encontre. Jamais un chef militaire dans toutes les armées du monde n’a essuyé autant d’humiliations par des slogans qui exprimaient la haine qu’avait le peuple envers l’un des symboles de la corruption et de la dictature.
Paradoxalement, le chef d’état-major de l’armée jouait au démocrate qui combattait la corruption en réglant ses comptes avec ses pairs qui lui faisaient, de l’ombre, jusqu’ici. Et c’est grâce à Saïd Bouteflika, le frère cadet du président de la république, qu’il a vu son étoile briller depuis qu’il l’avait nommé vice-ministre de la défense nationale. Un poste politique incompatible avec le poste opérationnel, chef d’état-major de l’armée, qu’il cumulait juste pour avoir de l’ascendant sur le général Mohammed Mediène, alias Tewfik, l’inamovible patron des services secrets durant un quart de siècle et qui a vu défiler 5 chefs d’Etat (Chadli, Boudiaf, Kafi, Zeroual et Bouteflika).
Pour gagner la sympathie du peuple et récupérer aisément « le hirak », Gaïd Salah envoie, le 5 mai 209, son mentor Saïd Bouteflika, son éternel ennemi, le général Tewfik et son successeur à la tête des services secrets, comme coordinateur et non pas comme chef, Athmane Tartag dit Bachir, à la prison militaire. Le lendemain, vendredi 6 mai, il est l’objet de tous les slogans des manifestants qui le descendirent en flammes. Le peuple n’a pas avalé la couleuvre que lui offrait le chef de l’armée.
N'ayant pas réussi à amadouer le peuple, le chef d’état-major de l’armée passe à la manière forte. Des centaines de manifestants sont arrêtés dont beaucoup d’entre eux sont détenus illégalement dans les prisons. Il n’hésite pas à piétiner et violer la constitution en reportant de 7 mois l’élection présidentielle. Une élection qui voit l’arrivée du candidat inattendu, Abdelmadjid Tebboune, le chouchou de Abdelaziz Bouteflika. Il est présenté comme le symbole de l’Algérie nouvelle. Pourtant, après avoir pris sa retraite en 1991, il est rappelé par Abdelaziz Bouteflika qui le fait défiler dans plusieurs ministères avec un séjour plus long à l’habitat.
Sans le soutien d’un parti politique ou d’une association de la société civile, Tebboune se présente en candidat libre. Comment a-t-il fait pour obtenir les 60.000 parrainages récoltés dans au moins 28 wilayas (départements) ? Qui lui a financé sa campagne électorale ? Mystère et boule de gomme. Le comble, c’est que même le patron de la sécurité intérieure, désigné pour assurer une fraude électorale en faveur de l’ancien ministre de l’habitat, a joué contre lui. Il avait choisi un autre candidat. Le ministre de la communication Azzedine Mihoubi. Il avait failli réussi dans son entreprise n’eut été l’insistance de Gaïd Salah d’introniser son poulain Tebboune lorsqu’au matin du 13 décembre on lui présentait les résultats des élections en faveur d’Azzedine Mihoubi.
Des résultats que le peuple dénonça avec force en poursuivant ses manifestations hebdomadaires et en boycottant les joutes électorales. Que ce soit la présidentielle ou parlementaire ou le referendum de la constitution. Un boycott qui scella la rupture définitive entre le peuple et le pouvoir devenu de facto illégitime.
« Le Hirak » se poursuit jusqu’au mois de mars 2021 malgré la répression, les tortures et les emprisonnements. Il ne prit fin que lorsque la pandémie du Corona se met de la partie pour voler au secours d’un régime qui ne demandait que ça pour voir la population contrainte de ne plus sortir dans la rue.
Avec la fin de la pandémie, le pouvoir s’était mieux préparé et mieux armé pour empêcher la population d’investir la rue à nouveau. Ce sont des dizaines d’escadrons de policiers anti-émeute qui sortaient, tôt chaque vendredi, procéder à l’arrestation des premiers « hirakistes » qui quittent leurs domiciles. Jusqu’aujourd’hui, pas un jour ne passe sans que ne soient prononcées des condamnations à la prison contre des militants du « hirak » dans tous les tribunaux du pays.
Ces derniers jours, l’on s’est attelé à arrêter les figures de prou du hirak qui commencent à appeler à manifester le 22 février. En France où l’on compte une importante diaspora, le régime avait opposé aux militants du hirak des éléments soudoyés par les services de la sécurité extérieure. Les autorités françaises, craignant des débordements qui troubleraient l’ordre public, ont tout bonnement annulé les deux manifestations des deux camps opposés.
En Algérie, pour célébrer le cinquième anniversaire, des voix s’élèvent de partout appelant le peuple à sortir en masse revendiquer « un Etat civil et non militaire ». Le pouvoir est aux aguets et a élaboré plusieurs scenarii pour endiguer la vague qui risque de l’emporter comme elle a emporté le clan de Bouteflika et ses acolytes. Mais jusqu’à continuera-t-il à spolier le peuple de sa souveraineté ?