La torture dans les locaux des services secrets algériens est devenue une pratique courante et systématique depuis l’installation à la tête de ces services des anciens faucons de la décennie sanglante

Algérie, de nombreux cas de torture devant les tribunaux mais aucune mesure n'a été prise

Abdelmadjid Tebboune, presidente de Argelia, y Said Chengriha, Jefe del Estado Mayor del Ejército Nacional Popular de Argelia - PHOTO/ARCHIVO
Abdelmadjid Tebboune et Said Chengriha - PHOTO/FILE

Ils ont sévi durant les années 90, alors qu’ils étaient de jeunes officiers agissant sous les ordres du commandant Djebbar Mehenna (aujourd’hui général-major) qui dirigeait le Centre Principal Militaire des Investigations (CPMI) de Benaknoun (sur les hauteurs d’Alger). 

Dans ce centre, outre la torture que subissaient des détenus innocents, les officiers affectés à « l’escadron de la mort » exécutaient de sang-froid leurs victimes. N’ayant rien retenu comme preuve de culpabilité contre les prévenus, on finit par les achever par une balle dans la tête. Les exécutants touchaient de substantielles primes dont le montant oscillait entre 150.000 Dinars (1030 €) et 250.000 DA (l’équivalent de 1700 €), selon leur collègue le sergent-chef Houari dont le témoignage est diffusé sur YouTube.

argelinos protestan en Marsella
Les Algériens manifestent à Marseille


L’Espagne l’Eldorado des criminels des services secrets algériens

Dans les années 90, cette somme était une fortune pour un algérien. Toujours, selon le même témoin, « chaque officier de l’escadron de la mort exécutait jusqu’à dix personnes par jour. Parfois plus. » 

Cela leur a permis de d’avoir des comptes bien garnis en Espagne et d’acquérir de somptueuses villas en terre ibérique.

Ces officiers, promus aux grades de colonel et de général, sont aujourd’hui à la tête des services secrets algériens. Djebbar Mehenna, général-major, est aux commandes de la Direction Générale de la Documentation et de la Sécurité Extérieure (DGDSE). Il a pour second, un des anciens pensionnaires du CPMI de Benaknoun, le colonel Souahi Zerguine alias Mouad et Hocine Oubelaïd alias Hocine Boulahia. 

Ce dernier empêtré dans une sale affaire, qui fait l’objet d’un procès se déroulant au tribunal militaire, est mis en retrait dans son village natal Larba Nath Iraten (Kabylie) et frappé d’une ISTN (Interdiction de Sortie du Territoire National). 

Djebbar Mehenna
Djebbar Mehenna

A la Direction Général de la Sécurité Intérieure (DGSI), Abdelkader Haddad, promu au grade de général depuis 2021, est désigné depuis 2023 à la tête du Centre Principal Opérationnel (déplacé de Hydra à Benaknoun) connu sous le nom de « centre d’Antar ». Une caserne devenue le passage obligé de toutes les personnes arrêtées qu’elles soient civiles ou militaires. C’est par là que transitent les nombreux généraux envoyés à la prison militaire de Blida. 

Celui qui se vante d’avoir envoyé sous terre des centaines d’Algériens fait trembler le plus courageux des détenus. La seule évocation de son nom est synonyme de sévices, châtiments et mort. Selon des victimes passées par là, « dans ce centre, on ne lésine pas sur les moyens pour briser physiquement leurs proies. Ils n’ont aucune crainte de voir leur victime mourir sous la torture. Ils ont une assurance tous risques. »

Rares sont ceux qui osent parler des sévices subis dans ce sinistre centre. Ils sont traumatisés à vie. Surtout lorsqu’on sait qu’en Algérie, vous n’obtiendrez rien en déposant plainte contre les tortionnaires. Il n’y a aucun tribunal qu’il soit civil ou militaire à accepter votre plainte. Certaines victimes ont osé crier en pleine audience, dans les tribunaux où ils étaient jugés, qu’ils ont subi tortures. Pas la moindre réaction des magistrats.

Argelia protestas hirak

Un jeune étudiant agressé sexuellement à la caserne Antar

Walid Nekkiche, 25 ans, étudiant à l’Institut supérieur des sciences de le mer et de l’aménagement de territoire avait été arrêté le 26 novembre 2019 à Alger lors d’une marche hebdomadaire des étudiants du “Hirak”, le mouvement de protestation anti-régime né en février 2019. 

« J’ai vécu l’enfer » lâche-t-il devant les juges, le jour de son procès au tribunal de Dar-El-Beïda dans la périphérie d’Alger, le 2 février 2021, à l’issue de 14 mois de détention préventive. « J’ai beaucoup enduré durant ces quatorze mois de prison et surtout les six jours passés à la caserne Ben Aknoun » ajoute-t-il en poursuivant « j’ai été agressé sexuellement, physiquement et verbalement par des éléments des services de sécurité pendant la garde à vue ». 

En annonçant devant l’assistance qu’il a été violé, sodomisé par des éléments des services de sécurité, les magistrats ont fait preuve d’une incroyable passivité. Pas la moindre émotion ou réaction. Bien au contraire. Avec un cynisme glaçant, le procureur de la république, toute honte bue, a requis la réclusion à perpétuité.

Les déclarations du jeune étudiant ont soulevé une vague d’indignations dans les milieux populaires. Elles ont suscité moult commentaires dans quelques médias. C’est ce qui a amené le parquet à ordonné l’ouverture d’une enquête sans la moindre chance de la voir aboutir. Evidemment, le dossier a été fermé aussitôt ouvert.

Extradé d’Espagne, l’ex-gendarme Benhlima raconte son calvaire

Autre victime qui a bravé ses tortionnaires et leurs protecteurs, le gendarme déserteur qui s’était réfugié en Espagne pour quelques temps avant de se voir extradé et remis aux autorités algériennes venues le chercher par avion spécial.

Mohamed Benhalima
Mohamed Benhalima

Traduit à plusieurs reprises devant la justice pour divers délits dans le but est de mouiller des accusés qu’il n’a jamais connu, « Mohammed Azzouz Benhalima est revenu largement, pour la troisième fois, sur ce qu'il a enduré comme sévices depuis qu'il a été livré par l'Espagne aux services de sécurité algériennes. Il a raconté son calvaire, les séances de torture interminables, et il avoue d'avoir été violé » rapporte le Comité National pour la Libération des Détenus (CNLD) sur sa page Facebook. 

Et d’ajouter « Benhalima innocente, ainsi, tous les prévenus dans ce dossier en déclarant qu'ils lui ont été inspirés par les services de sécurité et sous la menace. Il interpelle le juge pour lui réaffirmer que ses aveux ont été faits sous la torture et sous l'effet de ce qu'il lui a été donné à boire.

Il raconte son calvaire à la prison, dans l'isolement, et sans droit de visite, ni de recevoir de couffin alimentaire. Il lui a été même interdit les habits et de ce fait, il s'est présenté devant le juge avec un pull de laine déchiré et un survêtement moisi. »

Et de poursuivre « Il a affronté le juge avec ses vérités en affirmant que " les dehdouhettes" passées à l'ENTV étaient faites sous la dictée et sous la menace du viol. ». Les « dehdouhettes » sont des aveux enregistrés par les policiers ou agents de la DGSI, devant les caméras et diffusés sur toutes chaînes de télévision, publiques et privées. 

Dans ces aveux, l’accusé assume tous les actes dont il est accusé. Il raconte une histoire dans laquelle il accuse toutes les personnes que les services de sécurité veulent impliquer sans les avoir jamais rencontrés. Très mal écrits les scénarii mis en scène et diffusés en public révèlent le niveau intellectuel.

Là, aussi, les juges sont restés imperturbables en écoutant la victime raconter son calvaire.

Adel Abdelmalek est sommé de se taire en évoquant les tortures subies

Le 2 février dernier, au tribunal militaire de Constantine, l’ex-gendarme Adel Abdelmalek, enlevé par des éléments de la DGSI à sa sortie du tribunal de Tébessa, n’a pas été par trente-six chemins. 

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Dès les premiers échanges avec le président du tribunal, il commence à dérouler le récit du cauchemar vécu durant sa disparition dans les locaux de la DGSI. Porté disparu durant plus d’une quinzaine de jours, Adel Abdelmalek a subi toute sorte de tortures. Pourtant, ils n’avaient rien à lui retirer comme aveux. 

Le bonhomme était gendarme dans un lieu-dit qui ressemble au bout du monde, dans une brigade de gendarmerie. Il n’a jamais fait preuve d’indiscipline ou commis la moindre infraction. Jusqu’au jour où est mis aux arrêts durant un mois pour « n’avoir pas averti qu’il était le frère du journaliste Anouar Malek qui dénonce les exactions du régime algérien à partir de l’étranger. » 

Quelques mois plus tard, il est rayé des effectifs de la gendarmerie nationale. S’en suit l’épisode de son arrestation au mois de juillet 2023, sa remise en liberté sous contrôle judiciaire et son enlèvement par des éléments de la DGSI. Tout s’est précipité pour ce jeune gendarme, âgé de 36 ans qui menait une vie paisible avant de plonger dans l’enfer.

Lorsqu’il avait déclaré à l’audience qu’il avait subi les tortures les plus abjectes, le président du tribunal fait vite de l’interrompre en le sommant de se taire. Le procès est vite bâclé en une trentaine de minutes et le gendarme est condamné à 8 ans de prison.

A sa sortie de la salle d’audience, les gardiens chargés de l’accompagner à sa cellule, selon des témoins oculaires, se sont rués impitoyablement sur lui en le rouant de coups. Un passage à tabac qui sera suivi par une sévère séance de tortures. 

Les gardiens de la prison qui l’ont accueilli n’ont pas reconnu le jeune qu’ils avaient vu le matin en se rendant au tribunal. Tellement il était amoché. « Ses cheveux arrachés. Son visage tuméfié, couvert de sang. Il avait du mal à marcher pour regagner sa cellule », raconte un gardien ému par ce qu’il venait de voir.

D’autres victimes ont subi le même sort si ce n’est pire n’ont pas réussi à faire entendre leur voix alors qu’ils s’étaient présentés devant les tribunaux dans un état des plus lamentables. C’est le cas de l’ancien secrétaire du défunt général Ahmed Gaïd Salah, l’ex-chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la défense nationale. 

Après avoir fui en Turquie où il avait demandé l’asile, Guermit Bounouira a été extradé vers l’Algérie où il fut condamné par le tribunal militaire à la peine capitale à l’issue d’un procès expéditif. Une peine qu’il aurait aimé voir exécutée pour le délivrer de l’atrocité de la torture qu’il continue de subir quotidiennement.  

Said Chengriha, jefe del Estado Mayor de Argelia - PHOTO/FILE
Saïd Chengriha, chef d'état-major général de l'Algérie - PHOTO/DOSSIER

C’est en quelques sorte, le lot de centaines d’Algériens arrêtés pour « délit d‘opinion ». Oui, en Algérie, l’expression d’une opinion est un délit qui mène dans les sinistres locaux de tortures placés sous le commandement de l’armée dont le patron n’est autre que le général Saïd Chengriha.