Rached Ghannouchi, leader des Frères musulmans de Tunisie, condamné à 22 ans de prison pour espionnage

La chambre criminelle n° 2 du tribunal de première instance de Tunisie a condamné les 41 accusés dans l'affaire Instalingo, dont l'ancien ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalam, à 22 ans de prison pour espionnage
Rached Ghannouchi, líder del partido islamista Ennahda y expresidente del parlamento - REUTERS/ ZOUBEIR SOUISSI</p>
Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahda et ancien président du parlement - REUTERS/ ZOUBEIR SOUISSI
  1. Origines de l'affaire Instalingo
  2. Principales condamnations
  3. Implications politiques
  4. Premières réactions

Après plusieurs années de procès et de condamnations, les responsables du plus important complot d'espionnage du pays, l'affaire Instalingo, ont été jugés et condamnés le 5 février par la Chambre criminelle n°2 du Tribunal de première instance de Tunisie à des peines allant de 5 à 54 ans de prison. 

Parmi les condamnés figurent des représentants politiques du parti islamiste Ennahdha et d'importantes figures des médias tunisiens, dont des journalistes et des hauts fonctionnaires. Il s'agit d'un événement sans précédent dans le pays qui, selon les officiels présents aux procès, « marque un tournant dans la justice ». 

Le verdict concerne des dizaines d'accusés et les conséquences ne sont pas encore connues. « Toute tentative de porter atteinte à la sécurité de l'État ou d'alimenter la propagande politique sur les médias sociaux sera punie avec la plus grande sévérité », ont déclaré les juges après avoir annoncé les sentences. 

Pour certains médias tunisiens, cependant, « ce verdict, perçu par certains comme une démonstration de fermeté, soulève également des questions sur l'équilibre entre la justice et les règlements de compte politiques ». 

<p>En esta fotografía de archivo del 3 de octubre de 2019, el líder del partido islamista y presidente del parlamento, Rached Ghannouchi - AP/ HASSENE DRIDI</p>
Dans cette photo d'archive du 3 octobre 2019, le chef du parti islamiste et président du parlement Rached Ghannouchi - AP/ HASSENE DRIDI

Origines de l'affaire Instalingo

L'affaire du plus important complot d'espionnage du pays trouve son origine en septembre 2021, lorsque le gouvernorat de Suse commence à soupçonner l'entreprise Instalingo, spécialisée dans la communication et la création de contenus numériques, d'être impliquée dans des activités d'atteinte à la sécurité de l'État, de blanchiment d'argent et de diffamation à travers les réseaux sociaux. 

Dans un premier temps, les investigations ont conduit à la perquisition et à la saisie locale de 23 ordinateurs centraux, ce qui a donné lieu à une première vague d'inculpations et d'arrestations. Cependant, le fait que de nombreuses personnalités publiques importantes étaient impliquées a ajouté à la gravité de l'affaire. Le nombre de personnes concernées était tel que la justice ordinaire a décidé de diviser l'affaire en trois dossiers : Instalingo 1, Instalingo 2 et Instalingo 3. 

El líder de Ennahda Rached Ghannouchi - PHOTO/REUTERS/ Zoubeir Souissi
Leader d'Ennahda Rached Ghannouchi - REUTERS/ Zoubeir Souissi

Le premier concerne les accusations de complot contre la sécurité nationale, d'incitation à la violence et de financement secret et illégal, qui ont conduit à l'arrestation provisoire de personnalités politiques tunisiennes influentes. 

Dans la seconde affaire, des enquêtes ont été menées sur le blanchiment d'argent et les liens politiques avec des entités de blanchiment d'argent, impliquant des journalistes, des personnalités influentes et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur, y compris l'ancien porte-parole du ministère, Mohamed Ali Aroui. 

Enfin, dans l'affaire Instalingo 3, toujours en cours, d'autres personnalités politiques pourraient être condamnées à des peines similaires à celles prononcées le 5 février. 

<p>El exportavoz del Ministerio del Interior tunecino, Mohamed Ali Aroui - PHOTO/ ARCHIVO</p>
Ancien porte-parole du ministère tunisien de l'Intérieur Mohamed Ali Aroui - PHOTO/ ARCHIVO

Principales condamnations

Parmi les principaux condamnés figurent :

Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, condamné à 22 ans de prison et à une amende de 80 000 dinars. 
Hichem Mechichi, ancien chef de gouvernement, condamné à 35 ans de prison. 
Mohamed Ali Aroui, ancien porte-parole du ministère de l'Intérieur, condamné à 13 ans de prison. 
Lotfi Zitoun, ancien ministre et ancien membre d'Ennahdha, condamné à 35 ans de prison. 
Riadh Bettaieb, ancien ministre d'Ennahdha, condamné à 8 ans de prison. 
Saied Ferjani, dirigeant d'Ennahdha, condamné à 13 ans de prison et à une amende de 50 000 dinars. 
Wadah Khanfar, ancien directeur d'Al Jazeera, condamné à 32 ans de prison et 80 000 dinars d'amende. 
<p>El ex primer ministro tunecino, Hichem Mechichi - REUTERS/ ZOUBEIR SOUISSI</p>
Ancien Premier ministre tunisien Hichem Mechichi - REUTERS/ ZOUBEIR SOUISSI

Implications politiques

Alors que deux procédures judiciaires sont toujours en cours et que le climat politique est tendu, les condamnations prononcées à l'encontre de membres et d'anciens membres du parti Ennahdha alimentent les divergences qui existent entre les différentes factions politiques qui se disputent le pouvoir.

Comme on pouvait s'y attendre, ces condamnations ont été interprétées de deux manières : pour les membres et sympathisants d'Ennahdha, elles sont excessives ; pour leurs rivaux politiques, elles sont des punitions exemplaires. Pour les autorités, en revanche, les poursuites engagées par Instalingo envoient un message direct : tout responsable sera puni sans concession. 

Néanmoins, les enquêtes se poursuivent et on s'attend à ce que de nouvelles condamnations soient prononcées dans les mois à venir à l'encontre des dizaines de personnes impliquées qui sont toujours soupçonnées. Ces futures condamnations confirmeraient l'ampleur d'une affaire qui continue encore aujourd'hui de gangrener la sphère politique tunisienne. 

Parlamento tunecino - PHOTO/Khaled Nasraoui/DPA /ABACA
Parlement tunisien - PHOTO/ARCHIVO

Premières réactions

Quelques heures après l'annonce du verdict, Rached Ghannouchi, leader des Frères musulmans tunisiens, condamné à 22 ans de prison, a publié un communiqué sur ses réseaux sociaux dans lequel il exprime son mécontentement et porte des accusations contre la justice tunisienne :

« Ce qui s'est passé est perçu comme un procès politique inéquitable se déroulant dans le cadre d'une nouvelle guérison et une atteinte aux droits et libertés les plus élémentaires, aux fondements les plus fondamentaux de l'État de droit et des libertés, et surtout, il s'agit d'une atteinte flagrante à l'indépendance et à l'impartialité du pouvoir judiciaire et d'une politisation flagrante de ses procédures et de ses condamnations. 

Ces dispositions confirment également que le régime du coup d'État cherche à aggraver encore la vie politique et sociale des Tunisiens et des Tunisiennes. 

La procédure dans cette affaire a été entachée, depuis le premier jour jusqu'au verdict, par d'innombrables violations et abus, comme le fait d'empêcher les avocats de défendre certains des accusés, ou de poursuivre certains d'entre eux sans preuves matérielles ou morales. 

Le chef du mouvement, Rached Ghannouchi, a décidé de boycotter toutes les procédures de ce « procès », estimant qu'il n'est rien d'autre qu'un procès politique et n'a rien à voir avec une justice indépendante et impartiale ».