Tunisie : Saied recule face aux critiques et corrige son projet de Constitution
Le président tunisien Kais Saied a annoncé dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 qu'il allait modifier au moins deux points du texte de la Constitution proposée au référendum du 25 juillet. Cette décision a été prise après de vives critiques de la part des ONG, de l'opposition politique et de l'arène internationale.
La proposition de Kais Saied, qui modifie profondément le pays maghrébin, a été mise en cause pour son caractère trop présidentialiste et pour la remise en cause de la séparation des pouvoirs en Tunisie. Une trentaine d'organisations telles que la Ligue tunisienne des droits de l'homme, l'Organisation tunisienne contre la torture et le Syndicat national des journalistes ont dénoncé la tendance autoritaire du projet et demandé son retrait.
Les modifications que Saied a communiquées portent essentiellement sur deux points. La première concerne la place de l'islam, religion majoritaire du pays, dans la Grande Charte. Dans la Constitution de 2014, l'islam apparaît dans le premier article et est défini comme la religion de l'État. Le premier projet de 2022 présenté par Saied ne mentionne pas l'Islam avant l'article 5, et dans des termes très différents.
La Constitution de 2014 déclare dans son premier article que "la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime". Alors que la nouvelle Constitution stipule que "la Tunisie fait partie de l'Oumma islamique, et l'État doit œuvrer seul à la réalisation des objectifs de l'Islam tout en préservant l'âme et l'honneur".
L'"Oumma" est le terme arabe mentionné dans le Coran et dans le Sahifat al-Madinah pour désigner la communauté musulmane mondiale.
Selon les allégations d'Amnesty International, ce traitement reste très ambigu et pourrait entraîner des répercussions et des discriminations à l'encontre des religions autres que l'islam. En s'orientant vers une position encore plus laïque que celle proposée par Saied dans le projet du 30 juin, la Tunisie irait encore plus loin vers une laïcité d'Etat jamais vue dans les pays arabes. Cela place la Constitution de Saied à l'avant-garde du monde arabe.
La laïcité a toujours été un point fort de la proposition de Saied pour la Tunisie. L'opposition dans le pays est dirigée par le parti islamiste Ennahda, qui a remporté la première place lors des dernières élections et qui est soutenu par la Turquie et le Qatar.
Selon la déclaration de Saied, le deuxième point susceptible d'être amendé est l'article 55, qui touche aux droits et libertés du peuple tunisien. Selon cet article, de nombreux droits individuels des citoyens tunisiens pourraient être modifiés ou supprimés pour divers motifs liés à la sécurité de l'État ou à l'ordre public. Les ONG de défense des droits de l'homme en Tunisie se sont alarmées de ces dispositions, que Saied est maintenant prêt à modifier.
Le geste de Saied pourrait avoir un effet positif sur le référendum du 25 juillet. Au lieu de paraître inflexible et insensible aux voix de la contestation, le professeur de Droit constitutionnel a voulu être proche des organisations de défense des droits de l'homme, qu'il a écoutées. D'autre part, les changements apportés pourraient aller à l'encontre des intérêts du parti islamiste Ennahda, en pleine crise après l'inculpation de sa direction dans une affaire de terrorisme pour le meurtre en 2013 de deux politiciens socialistes sous le gouvernement de Hamadi Jebali.
Des membres proches de Saied ont déclaré à la télévision que si la constitution n'est pas approuvée par référendum, Saied quittera le pouvoir et éventuellement la politique, ce qui laisse plusieurs scénarios ouverts en Tunisie. Si la proposition n'est pas adoptée, la Tunisie pourrait revenir à la case départ en 2011.