La Turquie gèle les avoirs de 770 personnes pour des liens avec des organisations terroristes
Les autorités turques ont gelé vendredi les avoirs de 770 personnes liées à des organisations considérées par Ankara comme des organisations terroristes qui "abusent de la religion" ou sont nettement orientées à gauche. C'est ce qu'a annoncé le ministère des Finances en publiant un document détaillé dans lequel figurent les noms, la date de naissance, le lieu de résidence et les numéros d'identification des personnes impliquées, ainsi que les groupes dont elles seraient membres.
Le document, publié au Journal officiel, concerne 454 membres du mouvement du religieux Fethullah Gülen (FETÖ), 108 personnes appartenant au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et 119 autres liées à diverses organisations terroristes religieuses telles que le Hezbollah, Daesh et Al-Qaïda. Les 84 dernières personnes de la liste appartiennent au Parti révolutionnaire de libération du peuple, une formation politico-militaire à l'idéologie marxiste-léniniste considérée comme terroriste par l'Union européenne et les États-Unis.
Les signatures des ministres des finances et de l'intérieur, Nureddin Nebati et Süleyman Soylu, avalisent un document fondé sur les crimes de financement du terrorisme et de collecte illégale de fonds. Le gouvernement turc applique ainsi la loi visant à prévenir le financement de la prolifération des armes de destruction massive, adoptée par le Parlement il y a un an, et utilise la lutte contre les organisations terroristes pour resserrer son emprise sur les groupes de la société civile.
Cette mesure, dénoncée après son approbation par Human Rights Watch, permet aux autorités de geler les fonds de tout individu ou organisation soupçonné de collaborer avec des groupes considérés comme terroristes par Ankara. Un mécanisme juridique qui permettrait au gouvernement de restreindre plus facilement les activités des mouvements civiques indépendants. À cet égard, les personnes inscrites sur la liste peuvent faire appel de la décision devant la Cour pénale d'Ankara, ce qui laisse peu de marge de manœuvre.
Parmi les personnes concernées par le gel des avoirs figurent des personnalités de l'opposition comme l'universitaire Adil Öksüz, accusé pour sa participation au coup d'État de 2016 et son appartenance au FETÖ, l'ancien procureur en exil Zekeriya Öz, également lié au Mouvement Gülen, et l'ancien président du HDP pro-kurde, Selahattin Demirtaş. Le groupe est principalement composé de profils gulénistes et de représentants kurdes, l'essentiel de la dissidence contre Erdoğan.
Les membres de la liste sont répartis en quatre catégories : ceux qui appartiennent au mouvement Gülen, les membres du PKK, ceux qui sont liés à des organisations terroristes utilisant la religion et ceux qui appartiennent à des organisations terroristes de gauche. Il existe toutefois une exception concernant une personne morale. Il s'agit de la Niagara Foundation, une organisation à but non lucratif dont le président d'honneur est Fethullah Gülen.
Basée à Chicago et active dans huit États américains, la Niagara Foundation a été fondée en 2004 par un groupe d'hommes d'affaires et d'éducateurs turco-américains "pour concrétiser la vision de leur chef spirituel, Fethullah Gülen", selon l'organisation elle-même. Au cours de cette période, le religieux était en exil en Pennsylvanie après avoir été persécuté par les autorités kémalistes profondément laïques, qui se méfiaient des intentions des groupes religieux.
Cette période a été caractérisée par l'alliance entre le gulénisme et le Parti de la justice et du développement (AKP). Cette coopération a permis aux islamistes d'accéder au gouvernement en 2007 grâce à l'infiltration des partisans de Gülen dans les différents organes de l'État. Cependant, depuis qu'Erdoğan est devenu président en 2014, la collusion entre l'AKP et le FETÖ a commencé à se fissurer en raison de leurs différences politiques, dont les visions divergent sur les relations avec l'Occident.
Le coup d'État manqué de juillet 2015, qui a fait 265 morts, a finalement dénoué les liens entre le gouvernement d'Erdoğan et le mouvement Gülen. Le président a accusé le religieux et ses partisans d'avoir organisé le soulèvement et accéléré l'érosion des préceptes démocratiques pour protéger son pouvoir.
Au lendemain du coup d'État, Erdoğan a passé au crible tous les niveaux de l'État, du système judiciaire à l'armée, pour éliminer l'empreinte du gulénisme. Il a fait adopter une série de réformes juridiques qui facilitent la traque et la poursuite des dissidents, notamment une loi qui donne au gouvernement le pouvoir de geler les avoirs des organisations qualifiées de terroristes.