Les militants algériens condamnent la passivité de l'État face aux féminicides

À quelques mois de la fin de l'année 2024, les organisations féministes algériennes dénoncent le nombre élevé de féminicides commis cette année et l'absence de mesures prises par l'État pour lutter contre ce fléau. Selon les données du collectif Féminicides Algérie basées sur des cas publiés dans la presse, 38 féminicides ont été commis en Algérie depuis le début de l'année. Cependant, le chiffre réel serait plus élevé, car beaucoup de ces crimes sont cachés.
Parmi les cas rendus publics, on peut citer ceux de Nouara, 82 ans, assassinée à coups de barre de fer par son petit-fils ; Malak et Imane, deux sœurs de 18 et 26 ans, poignardées à mort par leur père, qui avait déjà assassiné leur mère 15 ans plus tôt ; et Malika, 32 ans, battue à mort par son mari.
L'association calcule que depuis 2019, au moins 261 femmes, dont la moitié sont des mères, ont été assassinées, ce qui met en évidence le manque d'efficacité des mesures adoptées par le gouvernement à cet égard. Le code de la famille a été modifié en 2005, supprimant la disposition relative au « devoir d'obéissance » de l'épouse, tandis qu'une loi sur la violence domestique et le harcèlement de rue a été adoptée en 2015.
« Si les lois étaient correctement appliquées, le nombre de féminicides cesserait d'augmenter », explique au Monde l'avocate Feriel Khelil, membre du réseau Wassila-Avife, une association qui lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants. « La loi de 2015 sur les violences domestiques aurait dû marquer un tournant décisif, mais nous n'avons pas dépassé le stade de la rédaction », ajoute-t-elle.
Les experts soulignent que l'un des moments les plus dangereux pour les femmes est celui où elles tentent de se séparer de leur partenaire. « La plupart des femmes tuées récemment avaient demandé le divorce », a déclaré Aouicha Bekhti, avocate et militante, au quotidien français, notant que « les menaces de mort qui suivent sont des signes avant-coureurs, mais elles sont souvent ignorées ».

« Les hommes algériens voient la demande de divorce comme un déshonneur insupportable », note Bekhti, qui juge nécessaire l'adoption d'une loi-cadre pour la protection des femmes, à l'instar de celle mise en place en août 2017 en Tunisie, où les cas de féminicides ont diminué.
Un autre problème majeur est l'absence de mesures de contrainte et de protection adéquates pour les femmes qui portent plainte contre leur mari. Comme l'explique Fériel Khelil au journal Le Monde, « souvent, les forces de sécurité et les institutions encouragent les femmes à retourner au domicile conjugal même lorsqu'il y a des violences », ce qui « conduit directement au féminicide ». Fériel Khelil demande donc que des mesures de protection immédiates soient mises en place pour éviter que la victime ne soit renvoyée dans un environnement dangereux.
Les militantes féministes dénoncent également les lacunes législatives, telles que la « clause de pardon », une disposition du code pénal qui stipule que l'action civile s'arrête si la femme pardonne à son agresseur. Pour Wiame Awres, fondatrice du collectif Féminicides Algérie, cette clause « favorise l'impunité ».
« Le pardon est un acte moral et n'a pas sa place dans le droit pénal », convient Bekhti, qui insiste sur la nécessité de réviser cette clause afin que les agresseurs soient jugés en fonction de leurs actes, sans qu'il soit possible de contourner la loi.
Bien que les policiers et les juges encouragent souvent les femmes à pardonner à leurs agresseurs afin de préserver l'unité de la famille, « la protection des femmes doit primer sur celle de l'institution familiale », affirme Khelil.
Un autre problème en Algérie est le manque de centres d'accueil pour les femmes en situation de vulnérabilité. Le pays ne compte que cinq centres d'accueil pour les femmes seules, et aucun pour les femmes avec enfants, ce qui les oblige souvent à retourner dans des foyers où la violence persiste. Quant aux policiers et gendarmes, ils manquent de formation dans ce domaine et découragent souvent les victimes de porter plainte, les renvoyant dans le milieu familial.

Des organisations telles que le réseau Wassila-Avife offrent des conseils et un soutien juridique, mais leurs ressources restent insuffisantes. « Nous avons une ligne téléphonique où les femmes peuvent appeler et recevoir le soutien d'un psychologue et d'un avocat », a déclaré Saadia Gacem, cinéaste et bénévole au sein de l'association, au quotidien Gallic.
« Nous leur expliquons qu'une gifle ou une insulte peut être le début d'un cycle de violence qui peut aboutir à un féminicide. Notre rôle est de les informer de leurs droits et de les aider dans leurs démarches juridiques, sociales et médicales. Mais cela ne suffira pas s'il n'y a pas de réformes profondes et si les menaces auxquelles ces femmes sont exposées ne sont pas correctement prises en compte », conclut-elle.
Pour les féministes, la solution passe par une transformation des mentalités. C'est pourquoi Mme Bekhti insiste sur l'importance de l'éducation à l'égalité des sexes dès le plus jeune âge. « Les femmes ne doivent plus être considérées comme la propriété des hommes », souligne-t-elle.