Les premiers Algériens pris au piège en Turquie atterrissent à Alger
Le cauchemar des près de deux milliers de citoyens algériens pris au piège en Turquie à la suite de la crise du COVID-19 touche à sa fin. Un premier groupe, composé de 269 personnes, a atterri ce samedi à l’aube à l’aéroport Houari Boumédiène de la capitale algérienne à bord d’un avion de la compagnie nationale Air Algérie, selon l’agence de presse d’État du pays maghrébin. Comme si cela ne suffisait pas, l’odyssée a été prolongée pour beaucoup de ces Algériens jusqu’à 17 jours, le premier avion a atterri à Alger avec plusieurs heures de retard, son arrivée étant prévue ce vendredi à 18 heures. L’affaire, pleine d’ombres, a débuté avec un millier d’Algériens bloqués à l’aéroport d’Istanbul le 19 mars après que la crise du coronavirus ait obligé à fermer l’espace aérien.
Selon les prévisions des autorités du pays maghrébin, 1788 personnes au total, selon les données de la présidence algérienne elle-même, rentreront chez elles entre samedi et dimanche sur les vols d’Air Algérie et de Turkish Airlines. Plusieurs ministres, dont ceux de l’intérieur et des affaires étrangères, ainsi que d’autres autorités locales, ont accueilli le premier groupe à l’aéroport.
Les 269 premiers citoyens seront mis en quarantaine à l’hôtel Mazafran, à l’ouest de la capitale algérienne. Ce samedi, selon le quotidien El Watan, 740 de ces citoyens algériens en provenance de Turquie seront hébergés dans le Mazafran précité; 790 entre les hôtels El Marsa et El Riadh, le complexe touristique H3 de Sidi Fredj, l’hôtel AZ et le complexe ADIM; et 258 au centre de thalassothérapie de Sidi Fredj et à l’hôtel de l’aéroport de Dar El Beida. Bien qu’ils soient en quarantaine dans une résidence universitaire située à plus de 400 kilomètres d’Istanbul, une conversation entre le président algérien Abdelmadjid Tebboune et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan ce mardi a précipité les événements
Dès que la fermeture de l’espace aérien algérien a été décrétée le 19 mars, des groupes de citoyens du pays maghrébin se sont rassemblés dans les aéroports de Tunisie, France, Canada ou Égypte, entre autres, pour tenter de rentrer chez eux. Ils ont tous réussi, après quelques heures ou quelques jours, à rentrer dans leur pays. Dans le cas particulier des Algériens qui se trouvaient au moment de l’éclatement de la crise au Maroc, les deux voisins ayant décrété la fermeture de leurs liaisons aériennes le 12 mars dernier, leur rapatriement s’est achevé au bout de quatre jours. Selon les autorités algériennes elles-mêmes, plus de 8000 nationaux sont revenus à bord d’avions d’Air Algérie ou de bateaux de la compagnie aérienne nationale au cours des dernières journées. Ce n’était pas le cas des Turcs bloqués en Turquie.
Selon les données du moyen local Le Soir, 1200 Algériens piégés sur le sol turc, en possession de billets pour un vol d’Air Algérie et trois de Turkish Airlines, ils sont restés jusqu’à huit jours à l’intérieur de la zone internationale de l’aéroport Sabiha Gökçen sans savoir ce qui leur arriverait. Quatre cents autres personnes en plus avec des billets à la fin du mois de mars et au début du mois d’avril se sont également écrasées à l’extérieur de l’aérodrome d’Istanbul, selon le média algérien.
Officiellement, la raison du retard des ressortissants algériens en Turquie est due à la crainte des autorités maghrébines que parmi les près de 2000 citoyens de leur pays il y ait des ex-combattants de Daesh et à l’examen rigoureux de leurs identités. Selon un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères publié le vendredi 27, le nombre de ressortissants concentrés à l’aéroport "n’a cessé d’augmenter" et "la plupart d’entre eux ne présentent ni document de voyage ni passeport". Le moyen Algérie Patriotique indiquait ce lundi que les services secrets turcs auraient profité de la situation pour camoufler des djihadistes dans ces vols pour entrer ensuite en Libye, où ils combattraient au secours du gouvernement d’accord national de Fayez Sarraj.
"L’État n’abandonnera aucun Algérien; cependant, nous avons agi de manière organisée pour qu’il n’y ait aucune infiltration", avait assuré le chef de l’Etat algérien ce mercredi dans une interview à la télévision publique que recueillait l’agence d’État Algérie Presse Service. Dans la même interview, Tebboune a affirmé que "malgré la fermeture de l’espace aérien", l’Algérie a organisé les 20 et 21 mars le rapatriement de 1800 citoyens à bord des avions des compagnies Air Algérie et Turkish Airlines, précisant qu’ils avaient des billets d’avion valide.
Les 22 et 23 mars, des images et des vidéos de plusieurs centaines de citoyens algériens abandonnés à leur sort à l’aéroport d’Istanbul circulaient déjà abondamment sur les réseaux sociaux et les médias. Les reportages des médias locaux faisaient état de drames humains et de situations dantesques : personnes âgées sans médicaments ni nourriture, personnes en fauteuil roulant et dormant sur le sol, y compris des enfants. Depuis l’aéroport d’Istanbul, les autorités lançaient la balle sur le toit algérien : les autorités maghrébines refusaient d’autoriser les avions de Turkish Airlines à atterrir sur le sol algérien. "Vos autorités refusent de vous rapatrier et les aéroports sont fermés. hou. N’attendez pas ici! Allez à l’ambassade parce que personne ici ne vous donnera à manger et à boire", rapportait le journal El Watan. Environ un millier de ces citoyens algériens disposaient d’un billet en bonne et due forme, comme il a pu le constater.
"Nous sommes des citoyens algériens bloqués à l’aéroport d’Istanbul en ce moment. Plusieurs vols étaient prévus ce vendredi; une partie a embarqué, mais pour d’autres, aucune information n’a été reçue. Nous sommes passagers d’un vol d’Air Algérie et de trois vols de Turkish Airlines. Tout le monde avec une carte d’embarquement et nos valises livrées" se plaignait un passager lors de manifestations à El Watan. Selon le récit de ce citoyen, les Algériens ont tenté d’empêcher des voyageurs d’autres pays de passer à l’intérieur de l’aéroport et ont commencé à chanter des slogans contre les autorités algériennes, ce à quoi ont répondu les forces de sécurité de l’aéroport d’Istanbul. La police turque n’hésitait pas à intervenir durement et à frapper, et "sans faire aucune distinction entre les familles et les enfants", selon le récit des personnes présentes, pour dissoudre les rassemblements. "Aucun représentant d’Air Algérie ou de Turkish Airlines n’est venu nous parler de notre rapatriement, nous continuons d’attendre", a déclaré une autre passagère de la compagnie aérienne maghrébine, du nom de Maria, citée par le même quotidien national. "Les conditions dans lesquelles se trouvent tous les passagers sont terribles. Nous avons froid et faim", a regretté le voyageur.
Et il a fallu attendre jeudi dernier, 26 mars, pour que l’ambassade turque à Alger annonce que les autorités turques prenaient en charge les citoyens algériens bloqués à Istanbul "jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer chez eux". "Les autorités turques ont commencé à évacuer nos frères et sœurs algériens qui étaient bloqués à l’aéroport d’Istanbul vers la ville universitaire de Karabük, où ils seront hébergés jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer chez eux". Une note postée sur Facebook est venue du siège diplomatique.
"Un millier de citoyens algériens en Turquie avaient des billets en règle avec la compagnie Turkish Airlines. Les autorités turques auraient dû être responsables d’eux dès le début", souligne un rédacteur en chef du quotidien El Watan qui connaît l’histoire.
Bien que ces personnes aient dû initialement garder les deux semaines de quarantaine obligatoires dès leur arrivée dans les résidences universitaires de Karabük, où elles ont été installées dans des chambres individuelles, cela n’a pas été le cas en raison de leur retour imminent en Algérie. Les autorités algériennes ont alloué un total de 1930 places dans les hôtels et les complexes touristiques d’Alger et de Boumerdès pour que leurs citoyens passent maintenant les deux prochaines semaines en quarantaine, selon le ministère algérien de l’Intérieur. Une seconde quarantaine après la première interruption.
Ce vendredi marquait en outre un an de sortie forcée du pouvoir de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, qui vit confiné dans une résidence médicalisée près d’Alger et dont on n’a plus entendu parler depuis. Le pays maghrébin ajoute aux problèmes qu’il avait il y a un an, crise systémique, économie détériorée par la baisse des prix des hydrocarbures, contestation sociale, la crise du coronavirus.
Entre-temps, la pandémie de COVID-19 se poursuit en Algérie avec une progression lente mais ininterrompue des infections. À la clôture de ce texte, on dénombrait déjà 1171 cas de coronavirus, 105 décès et 62 recouvrements. En termes absolus, c’est le pays maghrébin qui compte le plus grand nombre d’infections officiellement confirmées. Selon un spécialiste américain en virologie d’origine algérienne, Hakim Djaballah, dans des déclarations au quotidien arabophone Echorouk, l’Algérie pourrait compter entre 20000 et 30000 cas confirmés d’ici le 15 avril prochain.