Cette volonté de transformation se retrouve dans le projet Vision 2030 du puissant prince héritier Mohammad bin Salman, déterminé à ouvrir son pays et à réduire sa dépendance au pétrole

Le football, plan B de l'Arabie saoudite quand le pétrole ne rapporte plus

REUTERS/AHMED YOSRI - Neymar, la nouvelle recrue d'Al-Hilal

Les transferts à prix d'or de stars du football vers des clubs saoudiens ont fait la une des journaux ces derniers mois, mais l'enjeu pour le riche royaume du Golfe n'est pas sportif : Riyad est à la recherche d'un plan B pour faire rentrer des revenus face à la baisse annoncée de l'activité pétrolière.

Un joueur brésilien accueilli par des milliers de supporters et conduit en Rolls-Royce à un banquet organisé par la famille royale saoudienne : le nom de Neymar vient à l'esprit, mais il s'agit de Roberto Rivelino.

L'ancien footballeur a signé un contrat juteux avec Al-Hilal en 1978, 45 ans avant l'arrivée de Neymar cet été.

"En plus de recevoir une nouvelle Mercedes Benz et 10 000 dollars par mois, Rivelino logera dans l'un des palais du prince Khaled Al-Saoud", écrivait le Washington Post à l'époque.

Neymar, mais aussi Cristiano Ronaldo, Karim Benzema et d'autres superstars ont reçu des honneurs similaires en rejoignant la Saudi Pro League.

AFP/FAYEZ NURELDINE - L'attaquant français Ittihads n°09 Karim Benzema

Le football saoudien a dépensé 830 millions de dollars (765 millions d'euros) rien que pour les transferts cet été, sans compter les salaires pharaoniques des joueurs.

Accusées de servir de voile aux violations des droits de l'homme dans le pays, ces sommes astronomiques sont sans précédent dans le monde du football, y compris pour le royaume saoudien lui-même.

Aujourd'hui, ces investissements s'inscrivent dans une stratégie globale du premier exportateur mondial de pétrole brut : remodeler son économie avant que les revenus de l'or noir ne s'effondrent.

Ces millions font donc partie de "la transformation visant à amener ce pays là où il veut aller", explique à l'AFP Carlo Nohra, directeur des opérations de la Saudi Pro League.

"Complètement différent"

Cette volonté de transformation s'incarne dans le projet Vision 2030 du puissant prince héritier Mohammad bin Salman, déterminé à ouvrir son pays et à réduire sa dépendance au pétrole.

Des footballeurs internationaux comme Rivelino sont arrivés en Arabie saoudite dans les années 1970, explique à l'AFP Saleh al-Khalif, rédacteur en chef adjoint du quotidien sportif saoudien Al-Riyadiah.

"Rivo (Rivelino) est venu, comme d'autres joueurs tunisiens qui ont bien joué lors de la Coupe du monde de 1978. Mais l'expérience s'est soldée par un échec", se souvient-il.

A l'époque, les clubs signaient sans stratégie gouvernementale. "Ce système n'était pas viable et n'a pas survécu", estime Saleh al-Khalif. "Aujourd'hui, c'est complètement différent", ajoute-t-il.

AFP/YAZID AL-DUWIHI - Nassrs #07 L'attaquant portugais Cristiano Ronaldo

L'Arabie saoudite de MBS, comme on appelle le prince héritier, a investi des centaines de millions dans tous les domaines : nouvelle ville futuriste sur la mer Rouge, grands événements sportifs et culturels, projets divers pour un tourisme de luxe naissant.

Pour ce pays de 32 millions d'habitants, dont les deux tiers ont moins de 30 ans, le temps presse. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dont Riyad est un membre important, prévoit que la consommation mondiale atteindra son maximum vers 2040, ce qui signifie que les revenus stagneront et diminueront.

Du pain et du cirque

Les Saoudiens sont "engagés dans une course contre la montre", déclare Simon Chadwick, professeur d'économie du sport et de géopolitique à la SKEMA Business School à Paris.

"L'Arabie saoudite a 20 ans pour se diversifier. En attendant, elle est exposée aux fluctuations du prix du pétrole", explique M. Chadwick à l'AFP. Le pays doit, selon lui, "agir rapidement, stratégiquement et efficacement".

Dans un pays où, jusqu'à ces dernières années, les divertissements publics étaient rares et les femmes interdites de stade, il s'agit de satisfaire une population "qui a longtemps été privée de divertissement à ce niveau", estime Ali Khalid, journaliste sportif au Saudi Arab News.

Laissant de côté les critiques des "cyniques" sur la répression en Arabie saoudite, il se réjouit que les autorités aient offert à la population "ce qu'il y a de mieux en termes de" divertissement.

Mais les investissements dans le football, la Formule 1, le golf ou les festivals de musique sont également destinés à "sécuriser la famille régnante", souligne M. Chadwick.

"Les investissements dans le football sont le pain et le cirque du XXIe siècle", déclare-t-il. "C'est donner aux gens ce qu'ils veulent dans l'espoir qu'il vous laissera tranquille" malgré l'exercice autoritaire du pouvoir.