Maroc/Espagne : les clés d'une nouvelle alliance

La phrase grandiloquente, "Grand voisin et ami du Sud", du nouveau ministre espagnol des Affaires étrangères, de l'Union européenne et de la coopération, José Manuel Albares, est pleine de bonnes intentions.
Cependant, la tâche qui nous attend n'est pas facile. Car il ne s'agit pas de renforcer des relations dépassées, mais de les reformater pour en reconstruire d'autres, sur la base du nouvel ordre géopolitique commun, dont la dynamique est très favorable à un Maroc devenu une puissance régionale et continentale.
Le nouveau ministre Albares sera-t-il en mesure d'y parvenir ? Voici quelques questions clés, étant donné que le nouveau ministre prend ses fonctions au milieu d'une profonde crise de confiance, qui oblige l'Espagne à se repositionner.
Les puissances mondiales sont actuellement à bord du continent du XXIe siècle, se disputant ses ressources naturelles, un marché colossal et les possibilités d'influence qu'il offre. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie misent sur le Maroc, sur sa stabilité et sa sécurité, avec lequel ils ont des alliances stratégiques de coopération politique, économique et militaire. Le leadership du Maroc en a fait un acteur, un promoteur et un moteur de facto. C'est pourquoi les grandes entreprises européennes basées au Maroc triangulent leurs activités sur son dos, s'étendant ainsi jusqu'en Afrique. Elle est également la porte d'entrée et la garantie d'accès aux ressources africaines, où le pays du Maghreb s'impose comme le premier investisseur dans des secteurs tels que la banque, la construction, les télécommunications, les phosphates et leurs dérivés, etc.
Certaines entreprises espagnoles, et une partie de la société civile, sont réticentes à accepter les réalisations économiques du "grand voisin et ami du sud", écartant ainsi les avantages compétitifs, économiques et financiers qui pourraient être obtenus en cas de concurrence partagée ou coopérative avec leurs homologues marocains, qui collaborent aujourd'hui avec des entreprises françaises, anglaises, américaines, chinoises et ukrainiennes. Une alliance hispano-marocaine offrirait également une complémentarité parfaite en raison de la proximité, et ce dans tous les secteurs, ce qui exige que les relations passent à un autre niveau, en surmontant les craintes non fondées, car le Maroc dispose déjà de sa propre technologie et d'autres technologies dans des secteurs tels que l'aérospatiale, l'automobile, les télécommunications, l'aéronautique et l'énergie.
Le ministre Albares, qui connaît bien Tanger et les relations franco-marocaines en tant qu'ancien ambassadeur d'Espagne à Paris, devra sortir des clichés et aborder avec courage la réorientation des relations dans le respect des institutions du "grand voisin et ami du sud". Le processus de démocratisation au Maroc est en pleine progression, sans précédent dans la région, et ceci est reconnu par la communauté internationale. Si de nombreux pseudo-démocrates espagnols, dont certains occupent des sièges au parlement espagnol, de la gauche et de l'extrême gauche (Podemos) et de la presse de même tendance, se taisent actuellement sur la répression à Cuba, qu'ils évitent de qualifier de "dictature", ils le font avec une impudence totale envers le "grand voisin et ami du sud". Pour leur ignorance et leur tranquillité d'esprit, la monarchie marocaine leur réserve constitutionnellement quatre portefeuilles ministériels dits "de souveraineté" (Intérieur, Affaires étrangères, Justice et Affaires religieuses) qui incarnent la politique de l'Etat. Ainsi, quel que soit le gouverneur, PJD, socialistes, nationalistes, communistes ou indépendants, la politique de l'État reste inaltérable, garantissant la gestion des affaires publiques qui exigent continuité et sécurité contre l'arbitraire partisan. Par ailleurs, constitutionnellement, rien n'empêche le roi Mohammed VI de participer au marché libre (le Maroc n'est ni Cuba ni le Venezuela), avec des entreprises privées, à l'économie du pays. Tout cela est légitime, car le peuple marocain l'a voté par référendum et c'est inscrit dans la Constitution du Royaume.
Le principal défi consiste à façonner une nouvelle alliance hispano-marocaine en accord avec les nouvelles dynamiques géopolitiques de l'espace commun, sans ignorer la position du Maroc sur l'échiquier régional et continental. Une réalité qui a été ignorée, ou simplement méconnue, par la diplomatie espagnole et, par ignorance, par la plupart des Espagnols ordinaires. En ce sens, et comme l'a dit le ministre Albares lui-même : "Ce qui est fait à l'étranger a des répercussions chez nous", ce à quoi il faudrait ajouter "et vice versa". Le défi du nouveau diplomate consiste, entre autres, à savoir faire de la pédagogie interne pour expliquer les changements géostratégiques qui se produisent à l'étranger, juste au sud, plus précisément dans le bassin méditerranéen et sur le flanc atlantique où les Canaries et les provinces du sud du Royaume partagent un grand voisinage et une grande amitié.
Pour ce faire, le Maroc est avant tout une machine diplomatique redoutable, sur la base de laquelle il a construit toutes ses relations internationales, acquérant un indiscutable "soft power", combinant intelligemment les aspects humains, économiques et politiques. Par conséquent, nous devrions aspirer à des relations hispano-marocaines au moins proches de celles que le "grand voisin et ami du sud" entretient avec ses alliés européens, la France et la Grande-Bretagne, et, de l'autre côté de l'Atlantique, avec les États-Unis et la Chine en Asie.
L'Espagne ne peut plus perdre de temps. Elle doit prendre le taureau de la politique étrangère par les cornes et profiter des vents favorables de son "grand voisin et ami du sud" pour se repositionner en abandonnant le statu quo actuel. Si le Maroc est cette colonne d'Hercule qui flanque le détroit de Gibraltar au sud d'Abilia, l'Espagne devrait être aux côtés du Maroc, main dans la main, pour devenir cette autre colonne d'Hercule, de l'autre côté du rivage de Calpe au nord, construisant des ponts avec l'Europe.
Beaucoup de travail attend le ministre Albares, dont on pense qu'il a la capacité et les moyens de révolutionner la politique étrangère espagnole. Le Maroc, plutôt que des bonnes intentions, attend des gestes de loyauté.