Egypte- Ethiopie : la guerre de l’eau

Depuis l’antiquité le nom de l’Egypte a toujours été associé au Nil. Le plus grand fleuve au monde à côté de l’Amazone couvre le dixième du continent africain et ses eaux sont quasiment sacrées au pays des Pharaons.
Il y a deux ans, la chanteuse égyptienne Shirin avait été condamnée à six mois de prison pour avoir dit lors d’un de ses concerts « Machrebch men Nilha» (Je ne bois pas l’eau du Nil), mettant en garde contre la bilharziose maladie parasitaire qui sévit dans le fleuve. Mais on ne plaisante avec le Nil en Egypte et la chanteuse a payé cher sa bouteille d’eau minérale et sa méfiance des eaux nourricières.
Cette histoire n’est pas anecdotique et c’est à l’éclairage de cette introduction qu’on pourrait comprendre dans quel état d’esprit l’Egypte négocie la part de l’Ethiopie dans les eaux du Nil. Le barrage de la Renaissance est un projet titanesque dont rêvait le voisin éthiopien et qui est devenu une réalité tangible et menaçante pour le Caire.
Le monopole que détenait l’Egypte sur le Nil est en phase de devenir de l’histoire ancienne. S’étendant sur 1780 mètres et culminant à 155 mètres le barrage éthiopien a de quoi attiser les jalousies. Pourtant, il est loin de détrôner celui d’Assouan construit sous Nasser et qui court sur presque 4 km. Mais les ambitions d’Addis-Abeba font de l’ombre au voisin égyptien.
En 1929 le Caire et la Grande-Bretagne signent un traité qui accorde des quotas d’eau très favorables à l’Egypte et au Soudan qui totalisant 87% du débit du fleuve. De ce fait l’Egypte disposait d’un droit de Veto. Un privilège qui a, par ailleurs, été supprimé par les accords de 2010 ratifiés par les Etats du bassin du Nil. La fin du l’hégémonie égyptienne permet à l’Ethiopie de développer son secteur agricole et d’être le plus grand pays africain pourvoyeur d’électricité.
Mais l’Egypte s’inquiète de la baisse de ses niveaux d’eau en aval et elle a bien raison. Car le Nil est capricieux et s’il peut déborder et inonder ses berges en période de crue, ce fleuve parcourant le désert, perd 10 % de son eau. Le Nil blanc est alimenté majoritairement par les pluies Ethiopiennes et les eaux du Nil bleu s’évaporent en grande partie au Soudan mais le Nil reste estampillé : Egypte !
Il y a cinq ans le président égyptien Al-Sissi disait « le barrage ne nous divisera pas, l’Ethiopie est en droit d’aspirer au développement de même que les Egyptiens ont le droit de vivre au bord du Nil ». Mais depuis juillet dernier, l’Ethiopie a commencé à remplir le barrage et l’Egypte hausse le ton.
Le calendrier du remplissage de l’ouvrage hydraulique est dans une totale impasse et à la tête de l’Ethiopie une femme au caractère bien trempé ne veut pas se laisser intimider par ses voisins. L’Egypte qui avait demandé l’entremise des Etats-Unis pour les négociations et qui souhaite « un minimum d’eau garanti, un remplissage du réservoir plus lent pour éviter une pénurie notamment en cas de sécheresse, ainsi que la présence de ses experts sur le chantier », a vu ses demandes rejetées par Addis-Abeba. Même si ces derniers temps les propos du Caire et de son homologue ont été durs, aucune intervention militaire ne paraît envisageable pour l’instant.
Le barrage qui retient les eaux nilotiques et qu’on qualifie de deuxième plus grand d'Afrique en volume a coûté la bagatelle de 15 % du PIB du pays. Le projet qui a été accordé (sans appel d’offres) à l’italien Salini Costruttori n’est peut-être pas le mastodonte annoncé. On prédit un fonctionnement d’à peine 30% de ses capacités et à l’intérieur du pays des voix se sont élevées (et ont été aussitôt étouffées) pour dénoncer le coût de l’ouvrage dont les dimensions ont été établies en fonction du débit du Nil pendant la saison des pluies et non pas par rapport à sa moyenne annuelle.
Le pays a-t-il vraiment besoin de ce barrage gargantuesque ? Rien n’est moins sûr. Mais ce qui est évident c’est que l’Ethiopie compte éclairer ses populations dans les zones les plus reculées (65% des Ethiopiens n’ont pas accès à l’l’électricité) et diversifier ses revenues qui sont actuellement dépendantes de ses exportations de café (premier producteur africain de café et le troisième fournisseur mondial d'arabica).
De toute évidence personne n’est en mesure aujourd’hui de dicter à l’Ethiopie ses décisions. Le pays se dit souverain et « aucune force ne pourrait empêcher l’Éthiopie de construire le barrage », avait déclaré le premier ministre Ethiopien, Abiy Ahmed. Une baisse des eaux du Nil pourrait affecter le transport fluvial en Egypte et créer un stress hydrique dans le pays dont le fleuve est la principale source d’eau.
Ce qui se joue entre l’Egypte et l’Ethiopie n’est pas seulement une question de ravitaillement en eau, le pays d’Al-Sissi a du mal à céder son hégémonie dans la région et ses anciens privilèges. L’Ethiopie qui a souffert de crises alimentaires veut marquer un tournant dans son histoire et son économie et sa Renaissance semble imminente.