L’an II du Hirak

Hirak

Dès son retour d’Allemagne après plusieurs mois d’absence suite à son atteinte du COVID-19, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a dissolu l’Assemblée nationale et a appelé à des élections législatives anticipées. Le chef de l’Etat s’est également entretenu avec des partis politiques d’opposition et a amorcé un remaniement ministériel «des secteurs qui enregistrent des déficits dans leur gestion ressentis par les citoyens et nous-mêmes », a-t-il informé.

Tout cela s’est passé très vite. A quelques jours seulement de la date anniversaire du Hirak, ce mouvement populaire spontané né en Algérie en 2019 et qui a abouti à la démission de l’ancien président Bouteflika et a permis au chef de l’Etat actuel d’être en poste. 

« Le Hirak béni a sauvé l’Algérie. J’ai décidé d’accorder la grâce présidentielle à une trentaine de personnes pour lesquelles une décision de justice avait été rendue ainsi qu’à d’autres pour lesquelles aucun verdict n’a été prononcé. Entre 55 et 60 personnes rejoindront à partir de demain leurs familles. », a annoncé le premier homme de l’Etat à J-3 de la commémoration du soulèvement populaire. A l’heure où les Algériens se préparaient à investir la rue à nouveau. 

Dans le sillage de cette course contre la montre, le journaliste Khaled Drareni emprisonné il y a un an -pour avoir accompli son travail de journaliste et couvert le Hirak- a été libéré. Rachid Nekkaz ancien candidat à la présidentielle atteint d’un cancer et qui avait entamé une grève de la faim s’est également vu « gracié » par le président. 

D’autres prisonniers politiques ont également recouvert leur liberté mais pas tous. Il reste 70 « oubliés » dans les geôles algériennes selon les estimations du Comité National pour la Libération des Détenus (CNLD). Tous emprisonnés dans le cadre du Hirak ou suite à des publications hostiles au régime sur les réseaux sociaux. 

La réforme de la justice est une des revendications majeures de la rue algérienne. L’institution judiciaire est aujourd’hui synonyme de répression. La défiance est réelle et les Algériens n’ont pas confiance en leur justice qu’ils considèrent « aux ordres ». Le divorce déjà entamé a été accentué par les procès des hirakistes et les lourdes condamnations prononcées à leur encontre. 

Dans ce contexte de tensions, le jeune activiste politique et étudiant Walid Nekkiche, avait dénoncé la torture et les sévices qu’il a subi lors de sa garde à vue dans les locaux des services de sécurité. Suite à l’indignation générale, une enquête a été ouverte mais là encore la défiance demeure : «L’enquête préliminaire du parquet ne doit pas être un énième subterfuge pour calmer la colère et l’indignation nationales et internationales. Il faut que justice soit rendue sur ce qu’a subi Walid Nekkiche pendant 6 jours à la caserne Antar et que ses tortionnaires soient identifiés et jugés», a déclaré le comité contre la torture. 

Malheureusement, le cas de Nekkiche ne semble pas isolé. Le prisonnier politique Karim Tabbou avait également rapporté des scènes de tortures et d’humiliation. La fin de l’omerta dans les prisons algériennes annonce une ère nouvelle. 

Malgré le scandale et les tensions, le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati a été maintenu à son poste. Pendant que l’Algérie traverse une crise de confiance envers ses Institutions, le garde des sceaux a présenté le 03 mars un projet de loi permettant de déchoir des citoyens résidants à l’étranger, impliqués dans « des délits portants atteinte aux intérêts de l’Etat », de la nationalité algérienne. Il s’en est suivi un tollé d’indignation à l’heure où les chantiers de réformes sont immenses. Les manifestations anti-régime ont repris à Alger, dans les grandes et petites villes. Les mêmes mots d’ordre ont été scandés « Etat civile et non militaire ».

L’armée et Tebboune tentent de stabiliser la société mais la crise sanitaire et ses répercussions sur l’économie n’ont fait que rendre leur tâche plus difficile. Récemment, l’huile de table a disparu des magasins en Algérie avant de réapparaître à nouveau rappelant ainsi de mauvais souvenirs. La dégringolade du pouvoir d’achat et le recul des revenus des plus pauvres planent toujours sur la stabilité du pays. 

« Le Hirak n’est pas mort », lit-on sur les pancartes. Si le mouvement spontané de 2019 n’est pas arrivé à se structurer comme le déplorent certains, il reste une force et une énergie suffisante qui continue d’ébranler le système, de questionner la société dans ce qu’elle a de plus fascinant et de plus laid. Pendant ces marches, les minorités deviennent visibles et les femmes s’imposent dans l’espace public. Le Hirak interpelle, il est un terrain où se confrontent les paroles les plus divergentes... il est tout simplement l’expression de l’Algérie d’aujourd’hui et il compte bien se faire entendre.