La guerre et le coronavirus

En ce mois de mars, le temps à Istanbul est splendide et les ferries sur les Bosphore ne cessent d’aller et venir dans un bal incessant transportant touristes et travailleurs à leurs bords.
Des deux rives, européenne et asiatique, les pêcheurs munis de leurs cannes remontent, des eaux polluées par l’activité des bateaux, de petits poissons qui s’agitent au bout de leurs hameçons. On se demande s’ils les mangent vraiment ou s’il s’agit seulement d’un passe-temps…
Les vendeurs de « Simit » complètent l’image d’Epinal et leurs cris se fondent dans le brouhaha des bruits de voitures.
Etre entre l’Europe et l’Asie est une drôle de sensation. On est à un point de jonction qui rappelle les traits d’union et parfois les lignes de démarcation. C’est un peu tout cela à la fois, la Turquie. Ce pays frontière qui sépare l’Orient de l’Occident.
La Süleymaniye trône à côté de La Sainte Sophie dans cette joyeuse ville d’Istanbul mais plus loin dans ce même pays, du côté de la frontière syrienne, des milliers de déplacés affluent. Après des frappes turques et des ripostes d’Al-Assad, Erdogan a décidé d’ouvrir les frontières qui sont devenues un véritable enjeu pour l’Europe. La simple idée de recevoir des réfugiés fait trembler le vieux continent.
On se souviendra longtemps des images consternantes qui nous sont parvenues de Lesbos où on n’a pas hésité à utiliser des perches pour faire couler les embarcations d’infortune. On a même tiré à balle réelle à la frontière grecque et on n’a pas lésiné sur le gaz lacrymogène et autres Jets d’eau en plein hiver pour repousser les indésirables de l’autre côté de la frontière. Les réfugiés d’Idlib ne savent plus où aller pour échapper à une mort certaine. Les habitants de cette région frontalière ne savent pas non plus s’ils retourneront un jour chez eux, alors ils avancent comme ils peuvent vers des terres qu’ils pensent salvatrices mais qui se sont avérées aussi hostiles et austères que les leurs.
La Turquie est un pays qui a accueilli beaucoup de réfugiés depuis la guerre en Syrie. Leur présence est visible partout. Beaucoup de quartiers ont changé au cœur même de la capitale et il suffit de parler arabe pour se faire comprendre en Turquie. Cette minorité hante les esprits et est présente dans toutes les conversations. Entre ceux qui se considèrent envahis et ceux qui rappellent les règles d’hospitalité et le respect des percepts de l’Islam, les débats sont parfois houleux.
Si une trêve en Syrie a été signée entre le président Erdogan et son homologue russe Vladimir Poutine, personne ne sait pour combien de temps.
En voyant l’Europe fermer ses frontières à des réfugiés poussés à l’exil, on ne peut s’empêcher de comparer cette situation à l’actualité du moment et le coronavirus. L’exemple de l’Italie en est emblématique.
Nous avons vu comment les provinces du Nord d’Italie qui devaient être mises en quarantaine ont été vidées de leur habitants lorsque la décision d’isoler ces villes a fuité avant la mise en place de son application. Une véritable invasion du sud dans un mouvement de panique sans précédent a été largement critiqué. La simple idée d’être touchée par ce virus qui ne tue pourtant que 2% de la population infectée a mené des centaines de personnes, dans un grand mouvement de panique, à migrer vers le sud et (et par la même occasion déplacé la maladie également).
Cette histoire dit une seule chose : nous sommes tous aussi vulnérables devant la peur de la mort. L’instinct de survie est en chacun de nous. Peut-être que les européens peuvent comprendre aujourd’hui le besoin des syriens de fuir la guerre pour sauver leurs vies et celles de leurs enfants.
Il y a aujourd’hui urgence humanitaire et urgence d’humanité.