Ménager le loup et l’agneau

C’est un président français bien calme et aux paroles mesurées que l’on a vu sur les écrans de la chaîne qatari, Al Jazeera. Apaiser les colères, se montrer rassembleur sans perdre en fermeté, c’est à ce difficile exercice que s’est adonné Emmanuel Macron qui n’a cessé de marteler que ses propos ont été déformés, mal traduits, mal interprétés…« Je ne suis opposé ni à l’islam ni aux musulmans et ma position sur les caricatures a été déformée (…) Mon rôle est d’apaiser les choses mais aussi de protéger le droit à la liberté d’expression ».
Depuis la publication des caricatures du prophète Mohammed en septembre dernier par le journal satirique Charlie Hebdo, la France est dans la ligne de mire du terrorisme islamiste. Elle est d’ailleurs, depuis plusieurs années déjà, la principale cible des attentats en Europe.
Cette fois-ci, c’est un professeur qui a été décapité sur le sol français et à peine quelques jours plus tard, alors que la France ne s’était pas encore remise de ses blessures, c’est une Eglise et ses lieux de culte qui sont attaqués.
Le président Macron avait fermement condamné ces assassinats, « nous ne cèderons pas », avait-il clamé en défendant la liberté de la presse et le doit au blasphème que les Français ont acquis en payant un lourd tribut à l’Eglise.
Depuis ces tristes événements, des mosquées ont été fermées, des associations musulmanes interdites ou en cours d’interdiction…la France a entamé une véritable purge dans les milieux religieux. La communauté musulmane s’est sentie ciblée et dénonce une croisade contre l’Islam.
Partout ailleurs dans le monde arabe ou musulman de violentes réactions ont été relayées. L’appel au boycott des produits français a été largement suivi. Au Qatar, ils ont été retiré des rayons des grandes surfaces. De son côté, le président turc Recep Tayyip Erdoğan considère la France le grand ennemi de l’Islam.
Le président français a donc décidé de mettre fin « aux malentendus ». C’est dans ce contexte que l’Elysée a contacté la chaîne qatari Al Jazeera forte de ses 40 millions de téléspectateurs.
« Notre pays est un pays qui n'a de problème avec aucune religion au monde parce que d'ailleurs, elles s'y exercent toutes librement. Et pour ce qui est des Français de confession musulmane, comme d'ailleurs des citoyens du monde entier dont l'islam est la religion, je veux leur dire que la France est un pays où l'on exerce librement aussi cette religion. Il n'y a pas de stigmatisation, tout cela est faux, et un pays dont la vocation universelle est d'ailleurs d'être attaché à la paix, à la capacité à vivre quelle que soit sa religion», a tenu à préciser de prime abord le président français. Car pour mémoire, la chaîne Al Jazeera s’est faite le porte-voix du boycott et du french bashing.
Macron s’est adonné à un exercice pédagogique face à des peuples où, souvent, la liberté d’expression est absente du champ politique.
« Dans cette liberté d'expression, il y a la possibilité aussi de dessiner, de caricaturer. Ça, c'est notre droit. Il vient de loin, de la fin du XIXème siècle. Il est important de le défendre parce que c'est celui que veut le peuple français, et nous sommes dans notre pays souverain. Ce droit a conduit à ce qu'il y ait des caricatures dans des journaux, et nous avons aussi une histoire. Et ces caricatures se sont moquées des dirigeants politiques, votre serviteur le premier, et c'est normal », a-t-il expliqué.
Dans le même sillage d’apaisement, le président français a envoyé son ministre des Affaires étrangères en Egypte pour apaiser les tensions de la désormais crise des caricatures.
Jean Yves Le Drian a rencontré le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui a considéré les « insultes au prophète inacceptables » mais surtout l’influent Cheikh d’Al Azhar qui avait jugé les propos d’Emmanuel Macron concernant le séparatisme islamiste de « raciste » et les caricatures de prophète inadmissibles : « Insulter le prophète est complètement inacceptable et nous poursuivrons quiconque manque de respect envers notre prophète devant les tribunaux internationaux », avait déclaré le communiqué de presse d’Al Azhar. Dans toute cette tempête, Le Drian s’est voulu rassurant en parlant de plusieurs « points de convergence » pendant les discussions avec la plus haute instance sunnite de l’Islam.
Le ministre « poursuivra le processus d'explication et d'apaisement engagé par le président de la République » a précisé le communiqué du Quai d'Orsay.
On retiendra de cette visite un ministre qui se veut conciliant : «J’ai rappelé et je rappelle ici le profond respect que nous avons pour l’islam ». Cette opération de séduction a-t-elle donné ses fruits ? En tout cas, des signes d’accalmie se font sentir et les appels au boycott se font de plus en plus rares. Mais l’enjeu pour la France n’est pas seulement économique mais aussi et surtout sécuritaire.
La France n’a cessé de perdre ses dernières années de son attrait dans le monde arabe. Pourtant sous la présidence Chirac, elle était considérée comme le grand ami des musulmans et de l’Orient.
L’ancien président français très critiqué dans son pays, avait mené une politique étrangère très appréciée par les Musulmans. Il était favorable à l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne et on se souvient, par ailleurs, qu’il était contre la guerre en Irak et qu’il n’avait pas suivi ses alliés américains. C’est également en France qu’a été accueilli Yasser Arafat et qu’il est mort. Le drapeau français avait flotté à côté de celui palestinien lors des obsèques du dirigeant de l’OLP.
L’époque où la France était considérée comme l’ami des Arabes -ou des dirigeants arabes- semble révolue.