Tunisie : Le retour à la peine capitale ?

Túnez

Les faits divers sont les baromètres des sociétés et font remonter à la surface ses composantes intrinsèques. C’est le cas de la triste histoire de viol et du meurtre de Rahma Lahmar, jeune femme de 29 ans à Aïn Zaghouan, dans la banlieue de Tunis. L’opinion publique choquée par le crime n’a pas hésité à manifester sa colère, d’abord sur les réseaux sociaux qui se sont vite enflammés, ensuite par une marche jusqu’à la présidence. La foule en état de choc demandait au président d’intervenir dans cette affaire personnellement et a appelé à l’application de la peine capitale. 

Même si elle existe dans l’arsenal juridique tunisien, la peine de mort n’est plus appliquée depuis le règne de Ben Ali. Si la sentence est toujours prononcée, notamment à l’encontre de terroristes, elle s’est transformée en perpétuité depuis 1991. 

Le président Kaïs Saïed élu par suffrage universel et bénéficiant d’un grand soutien populaire n’a pas manqué de répondre aux attentes du peuple.  « Quiconque tue une personne sans aucune raison mérite la peine de mort », a rétorqué le locataire du Palais de Carthage et juriste de formation. 

Cette phrase a été entendue comme un oui franc par le peuple, ce qui n’a pas manqué, par ailleurs, de soulever un tollé. Les ONG et autres instances internationales appelant à l’abolition de la peine de mort dans le monde ont considéré cette réponse comme « un net recul en Tunisie ».  Par ailleurs, la vidéo où le président apparaît pour parler de cette triste affaire a été supprimée de la page facebook de la présidence.   

De son côté l’ancien président par intérim, Moncef Marzouki s’est opposé à la reprise des exécutions. « J’espérais que la Tunisie soit le premier pays arabe à abolir la peine de mort » qu’il a qualifié par ailleurs « d’arme de tyrannie ».  

Donner l’exemple, rendre justice, sont les arguments de ceux qui appellent à l’application de la peine capitale mais pour Amnesty internationale, les gouvernements qui exécutent des terroristes par exemple, n’en font pas un exemple et ne protègent leurs citoyens, ils en font des martyrs ! Ce qui aide, par ailleurs, à rallier leurs troupes. 

Depuis les élections de 2014, la Tunisie a opté pour une très large coalition et la nouvelle constitution a été saluée pour avoir consacré « le droit à la vie ». 

Les droits et libertés prennent une place importante dans le débat politique aujourd’hui en Tunisie, terreaux et substrats de la Révolution de 2011 qui avait abouti au départ du président Ben Ali. 

« Aujourd'hui, ils réclament la peine de mort à la suite d'un meurtre crapuleux, demain un étudiant sénégalais commettrait un délit et vous les verrez hurler à la chasse aux étrangers... après-demain, un attentat au centre-ville, et hop vous les verrez appeler au rétablissement de la torture... » s’insurge le caricaturiste tunisien Z sur son site Débat Tunisie. 

«Une reprise des exécutions serait une insulte envers tous les progrès faits par le pays en matière de droits de l'Homme», a renchéri Amna Guellali, directrice régionale adjointe pour Amnesty International. 

Statistiquement parlant, la peine de mort n’a pas vertu préventive. Doit-on guérir le mal par le mal ? que doit primer la vengeance ou la justice ?  « Chaque société peut faire son choix et le texte est clair dans le cas tunisien », a répondu le président tunisien, qui renvoie ainsi aux textes de référence et appuie sa position envers l’application de la peine capitale. 

Il faudrait préciser que l’enquête est toujours en cours même si l’accusé a avoué son crime mais les détails de ce meurtre et son contexte n’ont pas été élucidés. La justice est-elle l’affaire de tous ou seulement des juges et des ministères dédiés ? 

Une semaine avant cette triste histoire un autre féminicide avait ébranlé le Tunisie et les familles de la victime avaient également appelé à l’application de la peine de mort. D’ailleurs le père de Rahma avait déclaré à la presse que si l’homme qui a tué sa fille n’était condamné à la peine capitale, il se tuerait. 

Ce discours de désespoir teste les limites des lois de la République et du droit à la vie. Entre ceux qui appellent à garder la tête froide et de ne pas céder à l’émotion et ceux qui appellent à la vengeance, les échanges sont souvent violents.  

Le hasard a voulu qu’au même moment deux autres histoires de viols et de meurtre secouent l’Algérie et le Maroc. Chaïma 18 ans violée, égorgée et brulée à l’est d’Alger et à Tanger, Adlène 11 ans a été violé et tué par un voisin. De vives tensions ont suivis ces assassinats.  

En Algérie on a appelé à l’application du Quissas, - la loi du talion - le hashtag Quissas est très vite devenu viral, les mêmes réactions ont été exprimées au Maroc. 

La peine de mort a été abolie en pratique et non pas en droit dans ces trois pays maghrébins, une ambiguïté qui laisse supposer une possibilité de retour aux exécutions. 

Depuis l’indépendance de la Tunisie 135 exécutions ont eu lieu, majoritairement sous le règne de Bourguiba. L’Algérie n’a pas exécuté de prisonniers depuis 1993 ainsi que le Maroc. En l’absence d’une position politique claire ces pays peuvent basculer et en toute légalité dans les exécutions des peines capitales tant que l’arsenal juridique le permet.