Un autre 11 mars

Combien de mois de mars se sont déjà écoulés depuis 2004 ? La mémoire ne fait pas défaut, pas plus que les souvenirs, les émotions, les sentiments. La peur. Parce que ce jour fatidique, il y avait beaucoup de peur. PEUR, en majuscules. Ne pas savoir, ça terrifie ; savoir, parfois aussi. Les bombes, les morts, le sang, les trains, les arrêts, l'incertitude, l'impuissance, les couvertures, la solidarité. Un pays qui s'effondre. Qui pleure.
Madrid, le théâtre, avec ses trains de banlieue de ces quartiers qui commençaient à se réveiller avec l'arrivée d'une nouvelle journée ; avec ses wagons remplis d'étudiants, de travailleurs. Aux heures de pointe. Ils savaient ce qu'ils faisaient, ce qu'ils voulaient faire. Et ils ont réussi. Ils ont brisé les moules. Ils nous ont placés en tête de la liste de la terreur. Tuer. Et s'il faut mourir, on meurt. Sacs à dos. Explosifs. Près de 200 personnes ont perdu la vie et près de deux mille ont été blessées. Et cela aurait pu être pire. L'Espagne n'avait jamais connu d'attentat terroriste d'une telle ampleur. Ce n'était pas l'ETA. Et nous avons commencé à analyser, à vouloir en savoir plus sur le terrorisme djihadiste. Quelques semaines après le brutal attentat, dans un appartement de Leganés, les terroristes, après avoir été découverts, se sont immolés. Par Allah, pour atteindre le paradis, pour continuer à générer de la haine dans ce monde si souvent absurde.
Et la douleur s'est mêlée aux mensonges, à l'ignorance, à l'instrumentalisation, aux défaites, aux affrontements. Il ne restait que quelques jours avant les élections. La confusion et le chaos ont également entraîné un changement de pouvoir politique dans le pays : du PP au PSOE. Parce que les gens punissent, parce que les gens décident. Un affrontement qui s'est également installé entre les victimes. Comme si la perte et la déchirure de l'absence n'étaient pas la même chose. Là où il y a de la politique, il y a des intérêts.
Un autre 11-M. Qu'est-il advenu des victimes qui ont survécu ? De ceux qui ont perdu leurs enfants, leurs maris, leurs épouses, leurs pères, leurs mères, leurs amis ? L'oubli est fragile ; le souvenir ponctuel. Mais l'odeur de ce 11-M reste. Le goût amer reste. Il reste les cris du moment. Il reste la tristesse. Il reste le silence mystérieux et inoubliable qui s'est installé dans cette capitale bruyante et joyeuse.
Le silence. Oui, un silence brutal à la gare d'Atocha le lendemain et le surlendemain, où l'on n'entend que les pas de ceux qui montent et descendent des trains, où la lumière des bougies placées avec soin entre les messages d'adieu, les photos, les peluches et les lettres coupe le souffle. Une gare morte comme les victimes elles-mêmes. Nous sommes tous morts un peu ce 11 mars, nous avons tous ressenti la douleur de tant et tant de familles touchées.
Les passagers quotidiens d'Atocha ont été contaminés par ce silence qui régnait également dans les rues, les bureaux, les foyers. Incapables de prononcer un mot, il y a même eu des embrassades entre inconnus après que leurs regards se soient croisés devant n'importe quelle porte, dans les escaliers d'une station de métro, à l'arrêt de bus.
On n'oublie pas les sensations, même si certains détails peuvent se perdre en chemin. On n'oublie pas à quel point nous sommes vulnérables, on n'oublie pas les pleurs silencieux de Madrid.