Vivre et mourir
Le cyclone Daniel fait plus de 7 000 morts en Libye. Au Maroc, un tremblement de terre fait 3 000 morts. Derniers malheurs, derniers titres. Les guerres, les conflits et les catastrophes naturelles se poursuivent. Les blessés, les disparus, les réfugiés, les abandonnés, les orphelins, les orphelines...
Penser à la mort. Penser à la vie. Sur le chemin insignifiant qui existe parfois entre vivre et mourir. Deux rives à une distance inconnue. Deux aimants qui se confondent dans une étreinte. Être et ne pas être. Tisser, lentement, avec la minutie d'une araignée, des pièges à rêves. Rêver, même en sachant que la réalité est difficile. On essaie, on lutte, on tombe, on se relève et on peut même y arriver. Atteindre ce que l'on désire et voler comme un cerf-volant, avec l'illusion avec laquelle l'enfant aux pieds nus le voit s'envoler, loin ou près. Loin ou près, de quoi, de qui, toutes les réalités ne sont pas les mêmes. À chacun la sienne. Beaucoup de variantes, beaucoup de circonstances, beaucoup d'histoires. Certaines meilleures, d'autres pires. Cela dépend de tant de choses... Mais la mort ne les connaît pas. Elle arrive. Comme ça. Elle prévient quand elle veut. Elle le fait rarement...
Chaque jour, dans chaque coin, dans des maisons luxueuses ou sous des toits de chaume, dans des grandes villes ou dans des villages insignifiants, au bord des montagnes ou des mers, entre deux rires ou dans des draps tristes, parmi ceux qui ont déjà accumulé de grandes expériences ou ceux qui commencent à les additionner... la mort se promène, inconsciente de la douleur qu'elle va causer. Et elle agit. Elle ne le fait pas toujours de la même manière. Comme un immense catalogue de pantones, de couleurs, elle choisit. La décision peut offrir la trêve d'un adieu. Elle s'installe à côté de la personne choisie et se détend en laissant place à la tendresse de l'adieu. Il y a aussi de la place pour la destruction. Des centaines et des centaines à la fois. Il n'y a pas de regard, pas de pause, pas de chance. Elle balaie sans pitié, comme un orage de grêle sur une moisson. Des milliers et des milliers, au grand dam de ceux qui ont eu plus de chance. Chance. Que signifie ce mot ?
La mort a des alliés comme les pays. Des haines enfermées et des vengeances programmées. Ou simplement des compagnons de route. Quand la nature étouffe, elle tente de survivre, quand elle se sent acculée, elle se bat. Et nous ne savons pas ou ne voulons pas savoir. Peut-être que tout est plus simple. Et c'est ce qui se passe. Il y a des superstitions, des philosophies, des théories, des manières d'être ou des modes. Le positif attire. Le négatif aussi. Et entre l'un et l'autre, le destin marche victorieusement, inscrivant des dates de péremption sur le dos mouillé de deux amoureux, sur celui des bébés à naître, sur celui des adolescents qui dessinent dans l'obscurité un avenir merveilleux, sur celui des vieillards qui ne le craignent plus. Et sans avoir conscience de cette date, ils vivent et s'amusent enveloppés dans cette merveilleuse ignorance qui protège.
Libye, Maroc, Ukraine, Grèce, Inde, Syrie, Turquie, Haïti... Nous sommes trop nombreux à pleurer.
La mort arrache sans scrupule à la vie son billet de train. Et le triste voyage commence pour ceux qui contemplent avec impuissance le chemin insignifiant qui existe entre vivre et mourir.