Pays malheureux

Don Pedro Sánchez, président du gouvernement, nous laisse perplexes en annonçant qu'il envisage de démissionner face à l'ouverture d'une procédure par un juge sur des accusations apparemment fragiles de corruption impliquant son épouse, tandis que ses partisans se mobilisent et accusent le juge de lawfare, le mot à la mode du jour.
Les Anglais, qui ont leurs bizarreries mais aussi une démocratie solide et enviable, disent qu'il est malheureux que le pays connaisse le nom de ses juges car cela signifie qu'il conteste leurs décisions et tente de faire pression sur eux. Ils ne sont pas rares.
En Espagne, sans aller plus loin, nous sommes capables de nous souvenir sans difficulté du nom de plusieurs juges et aussi de certains procureurs ! A l'exception de quelques "juges-vedettes", et il y en a, la faute n'est généralement pas la leur mais celle d'affaires spectaculaires de corruption politique ou de lois telles que le Oui c'est Oui, qui exonère les délinquants sexuels, ou la loi d'Amnistie qui, lorsqu'elle sera votée, exonérera les prévaricateurs et les putschistes, et qu'eux, les juges, n'ont pas d'autre choix que d'appliquer au milieu d'un scandale public considérable.
Dans d'autres cas, la responsabilité est partagée entre le gouvernement et l'opposition, comme dans le cas du non-renouvellement de la CGPJ. Le résultat conduit les juges à une proéminence indésirable avec des accusations de politisation de la justice ou de judiciarisation de la politique, tandis que des pyromanes enthousiastes ajoutent de l'huile sur le feu en accusant de lawfare les juges qui osent enquêter sur des affaires qui ne sont pas à leur goût. Faire dépendre la justice des intérêts des uns et des autres détruit la morale. Cicéron l'a dit.
Aux États-Unis aussi, il y a des juges qui s'illustrent dans les affaires politiques, financières et sexuelles d'un ancien président inculpé de quatre-vingt-onze crimes, ce qui est pour le moins un euphémisme. Qu'il ait inspiré la prise d'assaut du Capitole en refusant de reconnaître sa défaite électorale, qu'il ait payé le silence d'une jeune femme avec des fonds électoraux, qu'il ait emporté des documents top secrets, qu'il ait gonflé ses finances, qu'il ait tenté de falsifier des résultats électoraux en faisant pression sur les autorités de l'État... Plus les procès se multiplient, plus la popularité de l'accusé augmente. Ce dernier se dit victime d'une chasse aux sorcières qui touche même le Parlement européen.
Plus il y a de procès, plus la popularité de l'accusé augmente, lui qui prétend subir une chasse aux sorcières qui atteint la même Cour suprême qui, ces jours-ci, se penche sur la question de savoir si le président jouit ou non d'une immunité totale pour faire ce qu'il veut. Plus sérieusement, les noms de ces "Magnifiques" sont les suivants Les noms de ces "Magnificent Nine", eux aussi élus à vie, sont également bien connus des Américains qui, selon l'expression anglaise, doivent être très malheureux. Et ce n'est pas fini, car le procès de Donald Trump ne fait que commencer.
Les Israéliens ne doivent pas être contents non plus. En pleine querelle judiciaire sur la tentative de Bibi Netanyahou de mettre la main sur la Cour suprême pour lui retirer ses pouvoirs (Bibi est accusé de corruption et s'il quitte ses fonctions, il risque de se retrouver en taule), qui avait donné lieu à des manifestations de rue massives car de nombreux citoyens estimaient qu'elle violait la séparation des pouvoirs inhérente à toute démocratie, le Hamas a lancé une attaque terroriste qui a choqué le pays par sa sauvagerie et parce qu'elle a révélé sa vulnérabilité.
La réaction israélienne a été disproportionnée, et c'est peu dire : 34 000 Palestiniens tués en six mois, dont la moitié sont des enfants (en Ukraine, le nombre de civils tués après deux ans de guerre est de 10 000), ainsi que 75 000 blessés, 1,8 million de personnes déplacées, des destructions massives de maisons et d'hôpitaux... un désastre humanitaire sans précédent.
C'est pourquoi la République d'Afrique du Sud a accusé Israël de génocide devant la Cour internationale de justice de La Haye, qui a accepté l'affaire, à l'indignation d'Israël, après avoir trouvé des "preuves prima facie". Les juges de la CIJ n'ont pas imposé de cessez-le-feu immédiat, comme le demandaient les plaignants, mais ont imposé des mesures provisoires obligatoires qui ne semblent pas impressionner les Israéliens.
La décision sur le fond de l'affaire est incertaine et prendra de toute façon des années, mais le dommage à l'image d'Israël est déjà fait et pourrait avoir des conséquences pires que celles causées par les terroristes du Hamas. Netanyahou n'a pas la vie facile : il est accusé de corruption dans son pays et de crimes de guerre à l'étranger.
Les juges doivent pouvoir faire leur travail sans ingérence et ne doivent pas être entravés car ils sont les garants de notre démocratie et de nos libertés. Et plus ils seront discrets et plus nous les laisserons agir tranquillement, mieux ce sera pour tout le monde.
Jorge Dezcallar. Ambassadeur d'Espagne