Migrants et frontières
À la moitié de l'année 2023, nous disposons désormais, prêts à être analysés, de tous les articles journalistiques qui ont traité des questions migratoires dans les principaux journaux des pays hispanophones tout au long de l'année 2022. Le temps écoulé depuis leur publication nous permet d'observer, avec une certaine distance et sans l'urgence inhérente à la sphère strictement informative, ce qui s'est passé au cours de cette période, avec la possibilité de dégager des tendances et de différencier les événements isolés des événements récurrents.
Un examen de la grande quantité d'informations et d'opinions générées par les migrations humaines au cours de l'année 2022, en Europe et en Amérique, met en évidence le poids des questions de sécurité dans ce sujet, par rapport aux autres aspects impliqués (culturels, économiques, éducatifs, de travail...) dans une question aux multiples facettes comme celle des migrations. Dans un certain sens, on peut parler d'une synecdoque où l'ensemble (la migration) est identifié principalement à un aspect (la sécurité, réduite à un concept encore plus spécifique et précis, la frontière), au détriment des autres, ce qui fausse la perception globale de la question.
Ainsi, de nombreux mots clés apparaissant dans les textes journalistiques analysés se réfèrent à des questions liées à la sécurité des frontières, éclipsant les autres aspects migratoires et privant le lecteur d'une vue d'ensemble plus complexe et complète de la question.
Les informations et les opinions des journaux américains se concentrent sur la description des mouvements migratoires qui, tout au long de l'année 2022, ont suivi les citoyens américains de différents pays vers le nord du continent, arrivant d'abord à la frontière sud du Mexique (depuis le Guatemala et le Belize) dans le but final, dans la plupart des cas, d'atteindre la frontière sud des États-Unis. Les médias soulignent l'augmentation des arrivées de migrants à la frontière sud des États-Unis en 2022 (37 % de plus qu'en 2021, et plus du double qu'en 2019), en analysant parfois les causes de cette tendance (qui peuvent être résumées comme la crise économique générale dans la région, l'insécurité et l'instabilité politique dans certains pays, ainsi que les effets néfastes du changement climatique).
D'autres questions migratoires qui retiennent l'attention de la presse hispanique que nous traitons (couvrant l'ensemble du continent, de El Mercurio au Chili à La Opinión à Los Angeles) font également référence aux frontières et à la sécurité frontalière : l'afflux de sans-papiers ; les crises migratoires (entendues comme des situations de tension aux frontières) qui se produisent, outre aux frontières sud du Mexique et des États-Unis, au Pérou et au Chili (à la frontière avec la Bolivie) ; les propositions de modification des lois qui régissent l'immigration aux États-Unis (qui comprennent le renforcement de la sécurité à la frontière avec le Mexique ainsi que, au cours de la période étudiée, l'abrogation par l'administration Biden de ce que l'on appelle le "Titre 42", un règlement de santé publique que Trump a sauvé de l'oubli en 2020 dans le cadre du COVID-19 en tant que mesure de contrôle de l'immigration).
Dans le cas des nouvelles et des opinions publiées dans les journaux espagnols, les concepts clés présents dans la plupart des documents sont l'immigration irrégulière, l'immigration illégale et les droits de l'homme ; tous trois mettent également l'accent sur les questions de sécurité qui se posent aux frontières de différents pays européens (Royaume-Uni, Espagne, Italie, Allemagne), ainsi que sur les conséquences juridiques de certaines des mesures adoptées pour contenir les flux migratoires.
Cette centralité de la sécurité frontalière, qui repousse à plus tard d'autres questions migratoires (dont la création en 2004 de Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, est un paradigme et un résumé au niveau européen), a provoqué, en réaction, certaines propositions visant à resituer les phénomènes migratoires dans un cadre différent, qui impliquerait l'ouverture des frontières des pays de destination de manière graduelle, ordonnée et conjointe, ce qui semble utopique à l'heure actuelle, et qui nécessite une profonde reconceptualisation des migrations. Ainsi, Alex Sager (auteur de "Against Borders : Why the World Needs Free Movement of People") plaide, d'un point de vue philosophique, pour cette ouverture des frontières. Dans le domaine de l'économie, Bryan Kaplan et Zach Weinersmith analysent dans "Open borders. The Science and Ethics of immigration" (un essai graphique intelligent - et lisible), les conséquences économiques (mais pas seulement) qu'entraînerait l'abolition des frontières.
Bien sûr, d'autres questions liées à la migration apparaissent également dans les textes journalistiques des médias espagnols et américains, mais leur présence et leur poids dans l'ensemble sont moindres : c'est le cas des réfugiés ukrainiens (pertinents uniquement dans la sphère géographique européenne), de l'augmentation des "Vénézuéliens déplacés à l'étranger" (comme les appelle le HCR), des relations politiques de l'Espagne avec le Maroc, des nouvelles façons d'instrumentaliser l'immigration (le cas de la Biélorussie), et ainsi de suite.
En résumé, la lecture de tous ces articles journalistiques (plus de 2400) nous permet d'apprécier la prédominance des questions liées aux frontières et aux problèmes de sécurité qui y sont liés dans les informations et les opinions sur la migration, de telle sorte que cette position dominante fait ressortir, par contraste, d'autres aspects de la migration qui devraient sans aucun doute être pris en compte afin de construire une représentation plus complexe et plus riche de la migration humaine, plus conforme à la réalité dont nous essayons de rendre compte.
Luis Guerra est docteur en philologie et chercheur en communication et migration.