Brigitte : histoires d'une vie

Les histoires de vie sont une méthodologie de recherche qualitative utilisée dans les sciences de la santé (ergothérapie, psychologie, psychothérapie) et dans les sciences sociales et humaines (anthropologie, sociologie, sociolinguistique). D'un point de vue subjectif et avec l'aide du thérapeute ou du chercheur, le patient ou l'informateur prépare une histoire autobiographique en évoquant et en ordonnant les souvenirs de sa vie. L'écrivain italien Melania G. Mazzucco a récemment publié en espagnol (septembre 2019) Estoy contigo. L'histoire de Brigitte. L'auteur construit son histoire à partir de conversations avec la protagoniste du roman, Brigitte Zébé, une réfugiée congolaise en Italie, dont nous avons accès à un puissant témoignage autobiographique.
Grâce à un accord implicite de véracité avec l'auteur (qui est rendu explicite dans le post-scriptum du livre), nous, les lecteurs, admettons que l'histoire qui nous est racontée nous est "vraiment" venue à l'esprit (même si nous savons que le simple fait de rendre compte des faits avec des mots entraîne toujours une fiction inéluctable, inhérente à l'utilisation même du langage). Brigitte Zébé est une veuve de 38 ans, mère de quatre enfants, qui a dû fuir son pays pour des raisons politiques, lui sauvant la vie in extremis après avoir subi de terribles épreuves. L'histoire commence avec ses premiers jours à Rome, errant sauvagement autour de la gare Termini, et raconte le processus par lequel elle passe en Italie pour obtenir le statut de réfugié et pouvoir réunir une partie de sa famille pour continuer leur vie ensemble.
Les récits autobiographiques, que Brigitte raconte à l'auteur et qu'elle nous raconte à son tour, complètent les fragments du passé que nous ignorons, nous permettant d'établir progressivement les faits essentiels de sa vie. Le portrait de la personne qui est ainsi composé est extraordinairement riche et précis, de sorte que, à partir des circonstances de la vie individuelle de Brigitte Zébé, le lecteur a un accès privilégié à la condition et à certaines des circonstances du réfugié politique dans l'Italie d'aujourd'hui.
De même, le récit nous permet de connaître en détail le processus qui conduit à l'obtention du statut de réfugié, le travail des personnes qui y participent et le rôle joué par les institutions religieuses (en particulier la Compagnie de Jésus) et les organisations laïques. Le récit littéraire de Melania G. Mazzucco est un récit d'histoires, qui souligne l'importance de compter, de rendre compte des faits avec des mots, et qui combine l'ambition esthétique avec une connaissance profonde du social.
L'histoire centrale est constituée par le témoignage de Brigitte elle-même : l'"histoire de vie" qu'elle raconte à Melania pour qu'elle puisse nous la raconter. À côté de ce document testimonial se trouvent les récits oraux des demandeurs d'asile qui, comme c'est le cas de Brigitte, doivent être répétés à plusieurs reprises lors de différentes audiences, jusqu'à ce qu'ils parviennent à l'histoire devant la commission territoriale qui décidera si les demandeurs peuvent être reconnus comme réfugiés. Le succès de ces récits (c'est-à-dire leur capacité à convaincre les membres de la commission) réside avant tout dans leur crédibilité, car les autorités n'ont souvent pas les moyens de vérifier la véracité de l'histoire.
Ainsi, comme nous le verrons à un autre moment du texte, les histoires qui ont fonctionné pour leurs différents publics sont adoptées de manière fragmentaire par les demandeurs d'asile, dans une sorte de transmission orale, de sorte que la police, les avocats, les médecins ou les travailleurs sociaux finissent par entendre des épisodes identiques de réfugiés qui, en incorporant des fragments des histoires des autres dans les leurs, cherchent à assurer le succès de leur cause.
Un troisième groupe d'histoires est constitué par les récits écrits présentés par les élèves des écoles secondaires italiennes dans le cadre du concours "L'écriture ne s'exila pas", qui permettent à l'auteur de connaître les représentations que les jeunes Italiens ont des migrants et des réfugiés, souvent redevables à la manière dont ils sont présentés par les médias ; à partir de ces écrits scolaires, Mazzucco est frappé par la distance avec laquelle les jeunes considèrent les migrants, ainsi que par l'importance qu'ils accordent au difficile voyage vers l'Italie, par contraste avec le peu qu'ils savent d'eux une fois qu'ils sont déjà dans le pays.
La représentation complète que ce roman nous donne de l'environnement des demandeurs d'asile en Italie compromet, dans un certain sens, l'efficacité des discours des sciences sociales "pures" (historiques, sociologiques et anthropologiques), puisqu'il est capable d'intégrer le meilleur d'entre eux dans une construction littéraire complexe, avec un pouvoir narratif qui ne permet que la rhétorique de la fiction. La littérature pour connaître le social qui met en évidence la perméabilité qui existe entre les frontières des sciences sociales et de la littérature.
Luis Guerra, professeur de langue espagnole à l'Université européenne de Madrid, est l'un des principaux chercheurs du projet INMIGRA3-CM, financé par la Communauté de Madrid et le Fonds social européen