La création de l'Association des diplômés marocains en Espagne (ADME) : contexte, objectifs et activités

- Les relations hispano-marocaines : ombres et lumières
- Les diplômés marocains des universités espagnoles : un levier pour surmonter les difficultés et renforcer les relations
- Objectifs de l'ADME :
- Moyens
En réalité, l'idée de créer cette association mûrit depuis plusieurs années afin de répondre à un besoin motivé par plusieurs raisons, parmi lesquelles :
- La proximité géographique et les échanges humains et socio-économiques qui ont eu lieu, ont lieu et continueront d'avoir lieu entre le Maroc et l'Espagne. Chaque pays, comme cela est évident, fait en grande partie la politique de sa géographie.
- D'une part, l'existence de milliers de diplômés marocains issus d'universités, de grandes écoles et de centres de formation espagnols, et d'autre part, l'absence d'une structure qui les rassemble et tire parti de leurs connaissances multidisciplinaires, de leurs expériences fructueuses et de leurs relations professionnelles et humaines inestimables, afin de renforcer les relations entre leur pays d'origine et celui où ils ont fait leurs études universitaires.
- La recherche par de nombreux organismes espagnols et marocains d'une institution crédible, dotée d'un personnel hautement qualifié et connaissant bien la réalité des deux pays, afin de mener à bien des projets communs.
Les relations hispano-marocaines : ombres et lumières
L'histoire des relations entre l'Espagne et le Maroc est riche en témoignages de va-et-vient humains et d'influences mutuelles, ce qui est naturel entre deux pays frontaliers. Cette osmose inverse, riche et continue depuis des temps immémoriaux, trouve son écho dans une multitude de manifestations sociales et économiques. Au niveau culturel, notamment linguistique, l'influence mutuelle remonte à plusieurs siècles. L'existence de plus de quatre mille mots d'origine arabe et amazighe en espagnol, ainsi que de milliers de mots et d'expressions d'origine espagnole dans le langage parlé au Maroc en général, et dans le nord du Maroc en particulier, confirme cette symbiose linguistique et culturelle.
Les deux livres que j'ai récemment publiés, intitulés « Mots d'origine espagnole dans le langage parlé du nord du Maroc » et « Recueil de mots, expressions, jeux enfantins et toponymes d'origine espagnole dans le langage parlé du nord du Maroc », mettent en évidence l'enracinement et l'abondance de cette ascendance. Parler une langue commune signifie partager des pensées et des émotions. C'est pourquoi le marocain et l'espagnol sont plus frères qu'il n'y paraît. Si l'on fait abstraction de la religion, la parenté et la ressemblance familiale sautent aux yeux. Ce n'est pas pour rien que le grand Benito Pérez Galdós s'exclamait dans son « Aita Tetttauen » : « Qu'est-ce qu'un Maure, sinon un Espagnol mahométan ? Et combien d'Espagnols voyons-nous qui sont des Maures déguisés en chrétiens ? »
Cette interconnexion s'est considérablement renforcée au cours des dernières décennies, indépendamment de la couleur politique du gouvernement espagnol, grâce à une politique soutenue de coopération à tous les niveaux (économique, scientifique, culturel, migratoire, sécuritaire, judiciaire, fiscal, etc.).
Plus récemment, les deux déclarations conjointes du 7 avril 2022 et du 2 février 2023, qui reconnaissent l'initiative marocaine d'autonomie comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour résoudre le différend du Sahara occidental, ont marqué un tournant dans ces relations. Cette nouvelle position pragmatique et disruptive du gouvernement espagnol a eu un effet accélérateur sur les échanges économiques entre les deux pays. Aujourd'hui, l'Espagne est le premier partenaire économique du Maroc avec un volume d'affaires qui a dépassé les 24 milliards d'euros en 2024.
Avec 20 000 entreprises espagnoles travaillant directement avec le Maroc et plus d'un millier totalement implantées dans le pays chérifien, le Maroc est le pays qui reçoit le plus d'investissements espagnols sur le continent africain. De même, les investissements marocains en Espagne ont augmenté de manière notable ces dernières années.
L'augmentation du nombre de touristes dans les deux sens (1 million de Marocains contre 3,5 millions d'Espagnols en 2024) est la conséquence logique de ce climat de sérénité et de confiance qui règne entre les deux pays grâce à la volonté ferme de leurs dirigeants de donner un caractère stratégique aux relations entre les deux pays.
On peut supposer que ce processus sera renforcé par l'organisation par les deux pays, en collaboration avec le Portugal, de la Coupe du monde de football en 2030, qui offre aux deux pays davantage d'opportunités d'affirmer leur coopération politique et socio-économique, ainsi que de catalyser les flux culturels et humains.
Toutefois, malgré ces progrès substantiels et louables, certaines zones d'ombre subsistent, notamment :
*En Espagne :
La persistance, dans une grande partie de la société espagnole, d'une vision contre-productive à l'égard du Maroc et des Marocains. Cette vision simpliste et méfiante, parfois due à l'ignorance, parfois à des raisons malveillantes, est alimentée par une certaine classe politique et un large éventail de médias afin d'obtenir des gains électoraux faciles. Ce discours pervers trouve un écho dans les réseaux sociaux qui façonnent aujourd'hui l'opinion d'une grande partie de la population.
Partant de faits isolés liés à l'immigration clandestine ou à des problèmes d'intégration, ils présentent la communauté marocaine en Espagne comme un peuple conflictuel, qui ne cherche qu'à profiter des aides sans faire aucun effort pour s'intégrer dans le pays d'accueil et respecter ses valeurs.
À ce discours s'ajoute un autre, également fondé sur des éléments du passé, qui présente le Maroc comme un pays arriéré, risqué et statique, omettant de mentionner son dynamisme géopolitique et géoéconomique, sa jeunesse entreprenante, sa volonté de se moderniser et d'améliorer les conditions de vie de sa population.
Il est évident que tout n'est pas rose au Maroc et que le pays est confronté, comme beaucoup d'autres pays en développement et même développés, à une série de défis, notamment sur le plan social. Cependant, le fait que le pays continue de souffrir de problèmes structurels est une chose, mais en faire un objet de catharsis sociopolitique et une variable d'ajustement électoral en est une autre.
Une telle perception empêche de réaliser l'importance pour l'Espagne d'avoir un voisin prospère et stable, minimise l'importance stratégique de la coopération entre les deux pays et sous-estime l'impact très positif de la majeure partie de la diaspora marocaine sur l'économie espagnole.
Le faible investissement de l'État marocain dans les structures culturelles et médiatiques en Espagne afin d'améliorer l'image du pays ne contribue pas à contrebalancer cette perspective perfide.
*Au Maroc :
Il existe une certaine froideur anormale de la part de milliers de diplômés des universités espagnoles envers le pays où ils ont fait leurs études universitaires, l'Espagne. Cette réticence s'explique essentiellement par deux raisons : les obstacles administratifs qu'ils rencontrent en matière de mobilité et le traitement défavorable dont ils font l'objet, comme on peut s'y attendre, lors de l'inscription de leurs enfants dans les écoles espagnoles. Ce malaise doit être dissipé au plus vite.
De même, nous assistons à une faible rentabilisation au niveau populaire et institutionnel - par rapport à d'autres pays - de l'effort économique, éducatif et culturel considérable de l'Espagne. À notre avis, l'absence d'une plateforme médiatique hispanophone qui mette en valeur et diffuse cet effort considérable est une question en suspens qui doit être réglée de toute urgence. L'implication du secteur privé espagnol au Maroc dans la réalisation de cet objectif est fondamentale.
Cet ensemble d'obstacles fait que l'amélioration substantielle des relations entre les deux pays dans les domaines économique et politique est insuffisante pour sortir de la conjoncture actuelle et inscrire ces relations dans un cadre beaucoup plus solide et durable.
Cela nous invite à mobiliser d'autres ressources afin de surmonter ces obstacles et d'éviter de revenir à la case départ avec tous les problèmes que cela implique. Un travail pédagogique et socioculturel auprès de la population espagnole est une tâche qui reste à accomplir, tout comme l'ouverture de canaux de discussion et de débat avec les leaders d'opinion du pays voisin. La prise de conscience par la population espagnole de l'interdépendance des deux pays et de leur destin commun est un élément clé pour garantir la durabilité des relations. Une présence accrue et améliorée du Maroc dans le paysage culturel et médiatique espagnol est d'une importance capitale pour la réalisation de ces objectifs.
De même, une présence accrue de l'Espagne dans les médias marocains est indispensable pour mettre en évidence et reconnaître les efforts considérables qu'elle déploie.
Le rôle des diplômés marocains des universités espagnoles est primordial pour promouvoir ce travail nécessaire d'immunisation et de renforcement. Nous estimons que les cinq prochaines années sont très propices pour lancer une telle initiative.
Les diplômés marocains des universités espagnoles : un levier pour surmonter les difficultés et renforcer les relations
Nous parlons ici de milliers et de milliers de cadres hautement qualifiés dans diverses disciplines : médecine, ingénierie, pharmacie, chimie, physique, biologie, droit et sciences politiques, économie et gestion, architecture, traduction, diplomatie, langue et littérature, beaux-arts, musique, etc. Bon nombre d'entre eux préfèrent s'installer en Espagne et s'intégrer dans la société espagnole, tandis que d'autres retournent dans leur pays d'origine et participent au développement économique et socioculturel national tout en conservant d'excellentes relations professionnelles et humaines avec l'Espagne et les Espagnols.
Cependant, comme nous l'avons déjà mentionné, l'impact de la force relationnelle et suggestive de ces milliers de diplômés est faible en raison de l'absence d'une entité fédératrice qui les rassemble et canalise leurs idées et leurs initiatives au profit des relations entre les deux pays.
Conscients de l'importance du moment politique que traversent les relations entre l'Espagne et le Maroc, nous considérons que la constitution de cette association leur permettra de jouer ce rôle d'avant-garde et aux institutions des deux États de tirer parti de leur qualité professionnelle et relationnelle.
Objectifs de l'ADME :
Outre le fait de réunir ces diplômés au sein d'une plateforme leur permettant d'échanger des idées et des expériences et de mutualiser les relations solides qu'ils ont tissées au Maroc, en Espagne et dans certains pays d'Amérique du Sud, l'association veillera à les rendre visibles et à leur faire jouer un rôle plus important, à la hauteur de leur force numérique, professionnelle et socio-économique.
L'ADME souhaite également être un interlocuteur fiable des institutions publiques, privées et de la société civile des deux pays, les conseiller, leur offrir ses connaissances multidisciplinaires et sa force relationnelle afin de promouvoir la coopération entre les deux pays et d'atténuer les contraintes mentionnées ci-dessus.
De même, l'association intercédera auprès des autorités espagnoles compétentes afin de faciliter les conditions d'étude, de résidence et d'intégration sociale des étudiants marocains en Espagne.
Moyens
Pour atteindre ces objectifs, les activités suivantes seront menées :
- Créer un groupe de réflexion dédié à la réflexion sur les relations entre les deux pays et développer les outils appropriés pour les promouvoir.
- Mettre en place une plateforme médiatique axée sur la promotion des relations hispano-marocaines.
- Encourager les projets de coopération décentralisée.
- Organiser des activités touristiques, culturelles et sportives dans les deux pays.
- Mettre en place un réseau hispano-marocain comprenant des associations, des organisations et des centres de recherche.
- Conclure des accords et réaliser des projets avec des entreprises, des institutions et des fondations des secteurs public et privé en Espagne et au Maroc.
- Éditer, publier et diffuser des documents, des bulletins, des revues et des ouvrages de toute nature conformes aux objectifs de l'association.
Dr Mohamed Nouri, président de l'ADME