La guerre de Gaza ou quand les extrêmes se cherchent

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La justice, c'est l'injustice équitablement répartie
Maurice Chapelan
  
On dit que dans la douleur, face aux escalades de toutes sortes, le chemin est celui de l'espérance et qu'il ne sert à rien de se réfugier dans la vanité.
Il est triste de constater qu'au cours des dernières décennies, l'indifférence est devenue un mal qui ronge nos vies, et que l'arrogance, fatale et dangereuse, n'a cessé d'insuffler aux États, aux groupes et aux individus un faux sentiment d'autosuffisance, voire de suprématie. Un sentiment qui n'est finalement qu'un bouclier qui cache la faiblesse ou la peur d'affronter les vrais défis : ceux de se mettre à la place de l'Autre, de comprendre ses besoins et de s'occuper de son humanité. 

Oui, rien n'est plus facile que de se tromper soi-même jusqu'à ce que cela se retourne contre soi. Mais l'ennui, c'est que ce ne sont pas les semeurs de haine et leurs familles qui paient toujours la facture, mais les simples citoyens innocents.
Honoré de Balzac disait que la gloire est un poison qu'il faut prendre à petites doses pour ne pas tomber dans l'arrogance, et en vérité, Israël et la communauté internationale ont longtemps ignoré les Palestiniens, faisant comme s'ils n'existaient pas. 

Depuis la signature des accords d'Oslo, qui ont coûté la vie à Yitzhak Rabin, assassiné par un gamin d'extrême droite, les gouvernements israéliens successifs, encouragés par le silence complice et bienveillant des États-Unis et de l'UE, ont non seulement dénoué ces accords, mais aussi resserré l'étau autour du cou des Palestiniens en installant de nouvelles colonies et en réduisant de plus en plus l'espace vital des Palestiniens, tant sur terre qu'en mer. 

Cependant, je ne comprends pas comment un mouvement comme le Hamas, qui ne cesse de proclamer son islamisme et de construire son récit sur le registre religieux, ne respecte pas l'éthique de la guerre telle qu'évoquée par le prophète de l'islam lui-même et persiste à piétiner des cadavres et à maltraiter des vieillards en criant Allahu akbar. Denis Diderot avait raison de dire qu'il n'y a qu'un pas du fanatisme à la barbarie. N'oublions pas que le Hamas est la faction palestinienne des Frères musulmans qui ont tué le président égyptien Anouar el-Saddat, et n'oublions pas qu'au lieu de Hamas, il faudrait plutôt parler de plusieurs Hamas, puisque la direction politique vit dans des hôtels de luxe au Qatar, tandis que les différents groupes militaires sont ceux qui font battre la chamade localement, en obéissant à l'un ou l'autre camp.
De même, je ne comprends pas comment on entend isoler un peuple de près de deux millions et demi d'habitants dans une bande de 40 km de long sur 10 km de large, cocotte-minute et enfer à ciel ouvert comme on l'entend depuis des années sans rien faire, où 70% des jeunes Gazaouis n'ont jamais rencontré un Israélien, et où 75% d'entre eux sont au chômage alors qu'ils ont du gaz et du pétrole à deux pas de chez eux. Rappelons aussi que le PIB d'un habitant de Gaza est de 2 000 dollars par an contre 45 000 pour un Israélien. Oui, je ne comprends pas qu'on demande à une jeunesse sans repère et sans perspective d'avenir d'embrasser la paix et de comprendre l'empathie.
Pour échapper à la justice qui l'accable depuis des années, et avec son dernier gouvernement de coalition avec la dernière droite, Netanyahou mène le Moyen-Orient à l'abîme et son pays à la ruine. Lui, son ministre de la justice, l'architecte de la tentative de contrôle du Conseil suprême de la justice, ainsi que le chef de la sécurité nationale sont trois pyromanes qui n'ont cessé de semer la colère. 
Après des mois de manifestations de rue en Israël contre leur tentative de "mainmise" sur le Haut Conseil de Justice, cette guerre avec le Hamas vient réduire au silence les voix critiques au sein de l'armée. Avec le lancement d'un gouvernement d'unité nationale, il a déjà mis l'opposition en boîte. Ensemble, nous sommes invincibles, dit-il à l'opposition, et il y aura du temps pour la critique, ajoute-t-il.


Lorsque Netanyahou est arrivé au pouvoir en 1996, ses premières déclarations ont été : "Oslo est le problème, pas la solution ! Depuis, il n'a cessé de créer la discorde et la division entre les Palestiniens, entre l'Autorité palestinienne et le Hamas, sa devise à l'égard du Hamas étant de "laisser faire", c'est-à-dire de maintenir une tension douce et contrôlable et d'entrer à Gaza de temps en temps (2008, 2012, 2014) pour "tondre la pelouse" comme il le répète avec sarcasme.

Avec les derniers événements tragiques, nauséabonds et condamnables, je n'ai aucun doute que Netanyahou et ses partenaires d'extrême droite sont le pire ennemi des Israéliens, tout comme le Hamas est le pire ennemi des Palestiniens. N'oublions pas qu'en juillet dernier, de grandes manifestations ont eu lieu à Gaza contre le gouvernement du Hamas et qu'elles ont été durement réprimées par le Hamas avec des emprisonnements, des harcèlements et des tortures.

Ces deux camps extrêmes se cherchent et se trouvent, ils partagent des intérêts et une nature de charognards puisqu'ils vivent des cadavres qu'ils sèment dans leur vendetta. Le Hamas et la droite israélienne ont saboté les accords d'Oslo conclus entre la gauche israélienne et l'OLP. En 2005, avec l'approbation de Sharon, le Hamas a occupé Gaza, tuant des centaines de membres de l'OLP.  De plus, depuis 2014, il n'y a plus de dialogue, hormis sur les questions de sécurité, entre le gouvernement israélien et l'Autorité palestinienne. 

La barbarie à laquelle nous assistons aujourd'hui n'était alors qu'une question de temps. Avec elle, nous sommes passés de la sous-estimation à la sur-réaction, c'est-à-dire qu'une fois que ce que l'on attendait le moins du Hamas s'est produit, quel niveau de violence la réaction d'Israël atteindra-t-elle ?

Une sagesse dit : "Œil pour œil et nous deviendrons tous aveugles". L'histoire de ce conflit - comme d'autres - montre que les logiciels basés sur la vengeance ne font qu'alimenter l'extrémisme et aggraver la situation. Il n'est pas nécessaire - ou peut-être est-il nécessaire - de rappeler que le rôle d'un gouvernement est de protéger son peuple, et non de se venger. Pour cela, nous avons besoin d'hommes d'État qui pensent aux générations futures, et non de politiciens opportunistes qui ne pensent qu'à gagner les futures élections au prix de la radicalisation des peuples, comme cela a été le cas en Israël ces dernières années.

Ceci étant dit, quels sont les scénarios qui nous attendent aujourd'hui ?
-Premier scénario : le gouvernement israélien poursuivra le bombardement aérien de Gaza pendant une période limitée afin de provoquer un plus grand nombre de morts et de démontrer au peuple israélien, gravement blessé et en colère, que les pertes palestiniennes ont été plus importantes que les siennes. À ce jour, vendredi 13 octobre, Israël a largué plus de 6 000 bombes sur Gaza, tuant près de deux mille personnes (dont une douzaine d'otages selon le Hamas) et en blessant quelque dix mille. Une telle attaque pourrait être suivie d'une incursion terrestre limitée qui mènerait éventuellement à des négociations par le biais d'intermédiaires pour l'échange de prisonniers.

-Deuxièmement : opter pour une incursion terrestre globale jusqu'à l'anéantissement du Hamas et la prise de contrôle de Gaza. Ce scénario prend du temps et entraîne de lourdes pertes dans les rangs de l'armée israélienne, qui devra conquérir rue par rue, tunnel par tunnel, sans compter les pertes en otages. En outre, il existe un risque éminent de voir entrer en action d'autres acteurs locaux et étrangers dans une guerre qui pourrait remodeler les rapports de force au Moyen-Orient et renverser l'accord du siècle parrainé par les États-Unis, appelé accords d'Abraham, qui prévoyait l'adhésion de l'Arabie saoudite et répondait ainsi à l'objectif de plusieurs acteurs régionaux menés par l'Iran.
 
Quoi qu'il en soit, quel que soit le nombre d'attaques du gouvernement Netanyahou contre Gaza, quel que soit leur degré et leur nature, ce qui est certain, c'est que malheureusement, avec cette attaque macabre du Hamas, le problème palestinien a de nouveau pris la place qui lui revient sur la scène internationale. Il est frappant de constater que la carte reflétant le positionnement des pays face à cette nouvelle crise grave présente les mêmes lignes de fracture que la guerre russo-ukrainienne.

Cela signifie que le monde a beaucoup changé, que l'Occident n'a plus le monopole de la politique internationale et que les solutions aux conflits seront encore plus complexes. 
En effet, la concurrence ou le chevauchement de ces deux conflits confirme la thèse selon laquelle une guerre chasse l'autre. Ce nouveau conflit sert la Russie qui, comme nous le savons, entretient une étroite collaboration militaire avec l'Iran dans sa guerre en Ukraine. L'Iran, on le sait, est l'un des mentors essentiels du Hamas.

La convergence d'intérêts de plusieurs nouveaux acteurs internationaux dans un monde en pleine restructuration laisse présager le caractère global, dévastateur et durable de cette nouvelle guerre si les Etats-Unis laissent libre cours à la vengeance d'Israël dans des limites kafkaïennes.
De plus, ce nouveau conflit associe depuis toujours Netanyahou à la figure d'un dirigeant qui n'a pas su protéger son peuple et assurer sa sécurité - la pire image qu'un homme politique israélien puisse avoir dans un État qui s'est construit autour de l'idée ou du spectre de la sécurité.

Face à une escalade aussi dangereuse, et afin d'éviter le pire scénario pour tout le monde, il convient de se demander qui est l'honnête courtier acceptable pour les deux parties en conflit.  
Il ne fait aucun doute que les États-Unis et l'Union européenne peuvent exercer une forte pression sur le gouvernement israélien, mais uniquement pour réduire le degré de punition collective barbare et injustifiée. Cependant, pour servir de médiateur afin de trouver des solutions, nous pensons que le Qatar, qui depuis des années - dans un macabre jeu à trois (Israël-Catar-Hamas) - prend en charge les salaires des fonctionnaires palestiniens à Gaza ainsi que tous les coûts de reconstruction, peut le faire. D'autres pays comme l'Egypte, la Turquie, l'Allemagne et le Maroc peuvent également avoir un rôle intéressant à jouer :

1-A court terme :
-Créer un corridor humanitaire sûr pour acheminer de la nourriture et des médicaments à la population martyre de Gaza.
-Appliquer le droit humanitaire de la guerre.
-Échanger des prisonniers et des otages.
-Arrêter le processus de nettoyage ethnique - et la future déportation dans le désert du Sinaï que l'Egypte rejette - dont souffre une population prise en étau entre le blocus israélien et la dictature du Hamas.
 
2-Moyen terme :
Retour aux négociations en vue de trouver une solution définitive à ce conflit, celle de deux Etats comme le prévoient les accords d'Oslo ou l'intégration de la Palestine à Israël dans un Etat démocratique et équitable. Il est à noter que les accords d'Abraham ne prennent pas en compte les intérêts des Palestiniens en général et de la population de Gaza en particulier.

Afin d'éviter que les dommages collatéraux de ce violent conflit ne l'atteignent, l'UE dispose de plusieurs leviers pour faciliter sérieusement les négociations cette fois-ci : Tout d'abord, en tant que premier bailleur de fonds de la Palestine (y compris Gaza), et ensuite, en tant que premier partenaire économique d'Israël. Pour cela, il faut d'abord un interlocuteur palestinien crédible. A mon avis, Marouan Barghouti, qui est dans les prisons israéliennes depuis des décennies sans être l'auteur d'aucune attaque terroriste, est le seul à pouvoir faire bouger les lignes.
 
En conclusion, et face aux fanatiques des deux bords, face à leur volonté perverse de toujours revenir aux registres religieux pour anéantir l'autre et perpétuer les conflits, voici un passage de "la milonga del moro judío" de Dino Ferakis (chanté par Jorge Drexler) en espérant que de ce tremblement de terre jailliront des sources nouvelles et propres, et de ce volcan de nouveaux îlots de paix et d'empathie :
 
Je suis un Maure juif
qui vit parmi les chrétiens
Je ne sais pas qui est mon Dieu
Ni qui sont mes frères
Il n'y a pas de mort qui ne me blesse pas
Il n'y a pas de camp gagnant
Il n'y a rien d'autre que la douleur
Et une autre vie emportée par le vent
La guerre est une très mauvaise école
Peu importe le costume que vous portez
Pardonnez-moi de ne pas m'être engagé
Sous aucun drapeau
Toute chimère vaut plus 
Qu'un triste morceau de tissu
 
Espérons !