Le conflit du Sahara et ses suites : Alger peut-elle faire pression sur Paris pour qu'il recule ?

Les analystes, diplomates et experts des affaires euro-maghrébines se demandent ce que l'Algérie peut faire pour "punir" la France de cette mesure déjà annoncée, dont le président algérien Abdelmadjid Tebboune a pris connaissance lors de sa rencontre avec le président français en marge du sommet du G7 à Borgo Egnazia, dans la région italienne des Pouilles, il y a un mois et demi, grâce à la médiation personnelle de la présidente italienne Giorgia Meloni. L'Algérie savait qu'Emmanuel Macron était sérieux et n'a rien fait ni dit.
Faisons quelques considérations. Tout d'abord, l'Algérie ne doit pas, ne peut pas et ne veut pas remettre en cause les contrats commerciaux, économiques et financiers déjà signés et en vigueur entre Alger et Paris. Alger joue son prestige et sa crédibilité sur le marché international, sensible à ces aléas, et elle le sait.
Le seul contrat qui pourrait ne pas être renouvelé (comme ce fut le cas du contrat espagnol via le Maroc pour le gazoduc Maghreb-Europe en octobre 2021) est celui signé en juillet 2022 entre la société française ENGIE et la société algérienne SONATRACH, par lequel l'Algérie fournit à la France près de dix milliards de mètres cubes de gaz sous deux formes, le gaz liquéfié (GNL) dans son terminal de Fos sur Mer, et le gaz naturel via le gazoduc hispano-algérien MEDGAZ.
L'Algérie pourrait certes décider de ne pas renouveler le contrat avec la France, mais l'impact sur l'économie française serait minime. Le gaz algérien représente 8 % de la consommation française (la part de l'Algérie dans le total de 16 % de gaz dans l'ensemble des énergies primaires, dans lequel l'énergie nucléaire française représente 40 % et le pétrole 28 %), et peut être remplacé par du gaz provenant d'autres fournisseurs, tels que les États-Unis et la Norvège, les principaux fournisseurs de l'Europe, la Grande-Bretagne, le Nigeria, l'Égypte, le Qatar et d'autres encore. L'Algérie n'utilisera pas "l'arme de l'approvisionnement en gaz naturel", et si elle le faisait, ce serait le pays d'Afrique du Nord qui en souffrirait le plus.
Dans d'autres domaines commerciaux, l'Algérie pourrait envisager de réduire les importations de céréales françaises et de les remplacer par des céréales russes, ce qui aurait peu d'impact sur les exportations françaises, pour lesquelles les clients, notamment africains, ne manquent pas.
La balance commerciale franco-algérienne en 2023 s'élève à près de 12 milliards d'euros d'échanges (l'Italie atteint 24 milliards d'euros d'échanges avec l'Algérie, et l'Espagne 9 milliards d'euros). Dans un hypothétique bras de fer bilatéral, l'Algérie risquerait de perdre ou de geler les 2,56 milliards d'euros d'investissements directs français accumulés dans le pays, principalement dans les activités financières et d'assurance, l'industrie manufacturière et les industries extractives, dont les principaux bénéficiaires sont l'Algérie.
Quant aux éventuelles représailles politiques et diplomatiques, l'Algérie, comme tout autre pays d'Afrique ou du Maghreb, n'a pas la capacité de faire face à une crise prolongée avec la France. Les velléités d'utilisation du vecteur anti-terroriste, militaire ou sécuritaire, ainsi que du volet migratoire, apparaissent comme de simples gesticulations. L'influence de l'Algérie sur la scène internationale se limite à quelques pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, comme en témoigne son échec à rejoindre les BRICS. Elle serait en tout état de cause un problème mineur pour la France.
Quant à la suspension plus que probable du voyage officiel d'Abdelmadjid Tebboune à Paris à l'automne prochain, suite à sa réélection attendue à la présidence lors des élections prévues en septembre, elle ne serait perçue que comme un geste symbolique à caractère interne et sans grande portée internationale.
En tout état de cause, la diplomatie française devrait redoubler d'efforts pour tenter de convaincre les "amis du Front Polisario" de s'ouvrir au dialogue et à la négociation avec le Maroc afin que le mouvement indépendantiste en particulier et la population sahraouie en général aient leur mot à dire sur l'avenir de la région. La crise franco-algérienne semble donc n'être qu'un orage d'été.