L'Algérie ferme l'oléoduc Maghreb/Europe : une erreur stratégique qui aura des conséquences

La fermeture unilatérale par l'Algérie du gazoduc Maghreb/Europe est une erreur stratégique qui aura des conséquences désastreuses pour le pays nord-africain et toute la région si elle n'est pas corrigée rapidement et sans palliation.
En matière stratégique, militaire et politique, il ne faut pas prendre de décisions hâtives si l'on n'a pas les moyens de les mettre en œuvre et d'en assumer les conséquences.
Le régime algérien a pris deux décisions stratégiques importantes en l'espace de quelques mois : la première a été de rompre unilatéralement les relations diplomatiques, économiques, de coopération et de sécurité avec le Maroc ; la seconde a été de fermer le gazoduc Maghreb/Europe, qui transportait 6 milliards de mètres cubes de gaz des champs de Hassi R'Mel vers l'Espagne via le Maroc.
Ces deux décisions stratégiques ont été prises par le Haut Conseil de sécurité algérien, un organe militaire qui est passé du statut d'organe consultatif à celui d'organe exécutif, et auquel sont associés, sans droit de veto, le Président de la République, les ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères, et les chefs de la sécurité.
Les deux décisions avaient le même objectif : porter un coup politique, diplomatique et économique au voisin marocain, accusé, sans preuves tangibles, de porter atteinte aux intérêts souverains de l'Algérie, de financer et de soutenir des groupes politiques qu'Alger qualifie de "terroristes" (le Mouvement d'autonomie Kabil MAK et le mouvement d'opposition Rachad), d'avoir provoqué les "incendies criminels" qui ont ravagé le pays cet été et d'avoir organisé indirectement le lynchage du jeune Kabil Djamel Bensmain.
Cependant, il existe une différence notable entre les deux décisions prises par le Haut Conseil de Sécurité. La première, la rupture des relations avec le Maroc, Alger peut l'assumer et en traiter les conséquences en mobilisant ses réseaux de soutien et de lobbying dans le monde, dans les pays amis et alliés, et dans les organisations multinationales, l'Union européenne, l'Union africaine et l'ONU en particulier.
L'Algérie, en revanche, ne pourra pas faire face à ces derniers. Les accords de fourniture de gaz signés avec l'Espagne, le Portugal et l'Union européenne ne seront pas honorés. Le seul "plan alternatif" proposé par Alger pour compenser les 6 milliards de mètres cubes du gazoduc Maghreb/Europe consiste à augmenter la capacité de transport du MEDGAZ, qui achemine actuellement quelque 8 milliards de mètres cubes vers l'Espagne et qui pourrait, après des modifications techniques et une injection de millions d'euros, augmenter son débit d'un maximum de 2 milliards de mètres cubes. L'autre volet du "plan alternatif" consiste à augmenter le transport de gaz liquide par méthaniers, qui s'élève actuellement à 1 milliard de mètres cubes, et qui ne pourrait en aucun cas dépasser 1 milliard de mètres cubes supplémentaires. Ceci en termes de dommages causés à l'Espagne/Portugal/Union européenne par la décision.
Mais là où le point stratégique algérien rate vraiment la cible, c'est dans l'objectif poursuivi. Le Maroc sera touché en premier lieu, car tout indique que les stratèges marocains n'avaient pas envisagé ce scénario comme suicidaire et irréaliste. L'industrie qui s'approvisionne en énergie à partir des 800 millions de mètres cubes de gaz que le gazoduc a laissé derrière lui lors de son passage au Maroc n'a pas d'alternative immédiate. Le "gaz algérien" a fourni au Maroc 10 % de sa production d'électricité.
Quant à la non-recette des 100 millions de dollars par an en moyenne qui sont restés au Maroc à la suite de l'accord de 1996, elle sera amplement compensée par les alliés arabes du Maroc. Alger n'a pas lu le message que l'Arabie saoudite, le Qatar, Bahreïn, le Koweït et la Jordanie ont envoyé aux Nations unies en soutenant le Maroc dans le conflit du Sahara occidental et la "souveraineté de ses provinces du sud".
En outre, les plans à moyen et long terme du Maroc dans le secteur de l'énergie ne compenseront pas seulement le coup porté par l'Algérie, mais permettront au Maroc d'exporter de l'énergie vers l'UE, la Grande-Bretagne et les pays africains voisins.
L'aspect le plus frappant de l'"erreur stratégique" de l'Algérie est que son principal allié sur la scène internationale, la Russie, membre du Conseil de sécurité, est en train de construire un complexe pétrochimique près de Nador, dans la banlieue de Melilla, avec un investissement de 2 milliards de dollars, capable de raffiner quelque 100 000 barils de pétrole brut par jour qui arriveront via le terminal pétrolier du méga-port de Nador West Med actuellement en construction.
Si la décision de "fermer définitivement" l'oléoduc Maghreb/Europe n'est pas annulée à court terme, les répercussions seront très négatives pour l'Algérie et l'ensemble du Maghreb. L'objectif de l'Union du Maghreb Arabe, déjà atteint en 1989 mais en sommeil profond, a également été définitivement enterré. Et ce, malgré la passivité de l'Espagne et de l'Europe à l'égard de son voisin algérien.