Les XXXIIIe Jeux olympiques et l'autre histoire oubliée

El pebetero olímpico y la Torre Eiffel tras la puesta del sol durante los Juegos Olímpicos - REUTERS/CHRISTIAN HARTMANN
La vasque olympique et la Tour Eiffel après le coucher du soleil pendant les Jeux Olympiques - REUTERS/CHRISTIAN HARTMANN
La superbe ouverture des Jeux Olympiques de Paris ne peut laisser personne indifférent

Comme des centaines de millions d'habitants de la Terre, j'ai été captivé jusqu'à la fin apothéose de la flamme olympique dans la montgolfière Montgolfier, symbole de notre maison stellaire commune. 

Ce fut un spectacle prodigieux de technique, d'art et de folklore moderne, pour certains un peu excentrique, que même la pluie persistante n'a pas réussi à éclipser. 

Nous avons pu assister à la puissance de la France impériale, la France des sciences et des arts, avec des scènes surréalistes et post-modernes, parfois difficilement compréhensibles. Un spectacle de cinq heures qui a séduit et captivé la planète.  À César ce qui est à César. 

Dans son développement plastique, la cérémonie a été magistrale, moins dans son contenu qui, sans surprise, a montré la nature intrinsèque du système qui soutient les Jeux Olympiques et la nation qui les exécute. Ce fut un hymne à la France, vue par ceux qui l'ont conçue, dans lequel ceux qui auraient dû en être les principaux protagonistes, les athlètes, femmes et hommes, ont été relégués au second plan. 

Tous les éloges artistiques et technologiques étant amplement mérités, je ne peux m'empêcher de m'interroger : y a-t-il eu discrimination dans l'organisation de ces Jeux olympiques ? Pour moi, la réponse est oui. Ils n'étaient pas les "Jeux de la Paix", ils n'étaient pas les "Jeux de la Fraternité et de la Solidarité" ; ils ne pouvaient pas l'être et ce n'était pas non plus leur fonction. Organisés au milieu de deux guerres majeures, Ukraine-Russie et Palestine-Israël, et de nombreuses petites guerres, les 33e Jeux olympiques ont récompensé certains et puni d'autres. La Russie et le Belarus ont été marginalisés, stigmatisés et condamnés pour leur guerre "d'agression et d'invasion" en Ukraine, tandis qu'Israël a reçu une reconnaissance retentissante avec sa bannière portant la guerre "d'agression et d'invasion" en Palestine. Deux cas, deux attitudes, deux réponses. 

Tant la Russie qu'Israël ont avancé des raisons pour justifier leurs actes de guerre. Moscou a répondu au coup d'État sanglant de la révolution de Maïdan en 2014 qui a tué des milliers de personnes dans le Donbass, une région que la Russie revendique historiquement. Tel-Aviv a répondu de la même manière ou de manière similaire à la violente attaque du mouvement palestinien Hamas le 7 octobre 2023 qui a fait 1 200 morts et plus de 200 otages israéliens. La Russie et Israël ont répondu par la guerre, d'agression pour les uns, de défense pour les autres, mais les deux nations ont été punies pour la première et récompensées pour la seconde. D'un côté de la tranchée, on fait allusion au terrorisme, de l'autre, à la défense du pays. Ni le Comité international olympique (CIO), ni la France, pays hôte, n'ont fait de distinction, ni expliqué leur comportement opposé dans les deux cas. Le discours sur la paix est un leurre. 

Le président du Comité international olympique, l'organe qui décide qui participe et qui ne participe pas, Thomas Bach, n'a cessé de parler d'amitié, de solidarité, d'esprit olympique, de fraternité entre les athlètes, du fait que nous sommes tous égaux ici, qu'il n'y a pas de racisme ni de discrimination. Mais il n'a pas dit un mot sur le millier d'athlètes sanctionnés, russes et biélorusses, à cause de la politique de leurs gouvernements, ni sur les 340 membres du Comité palestinien tués dans les bombardements israéliens. 

Pour sauver une partie du déshonneur, Thomas Bach a eu l'idée de créer un Groupe individuel neutre d'athlètes (ANI), sans drapeau, sans hymne, sans identité de pays, dans lequel intégrer quelques athlètes victimes de représailles, surveillés jour et nuit par la police et les mouchards du système, soit moins de dix pour cent du nombre total d'athlètes des deux pays. Nombre d'entre eux n'ont pas accepté de participer par solidarité avec leurs collègues athlètes de Russie et du Belarus, tels que le lutteur Shamil Mamedov, les joueuses de tennis Aryna Sabalenka et Victoria Azarenka, et bien d'autres encore en bloc. D'autres l'ont fait, un peu plus de 50. 

Les autorités olympiques, comme les hôtes français, n'ont cessé de parler de paix, d'éthique olympique, de la fin de la violence pour résoudre les conflits, alors que les pays qui donnent des armes, de l'argent et des soldats aux gouvernements de Kiev et de Tel-Aviv, comme les États-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et, bien sûr, la France, continuent de prélever de grosses fortunes sur les fonds publics pour armer leurs alliés et attaquer, dans un cas, les méchants Russes dans leur propre pays, dans l'autre, les "terroristes palestiniens", sans distinction d'âge. Une paix bien suspecte. 

Personne n'a mentionné les déclarations du Comité olympique palestinien, représenté par huit participants, qui a dénoncé le fait que plus de 340 athlètes, arbitres et membres du personnel sportif ont été tués par Israël en dix mois de bombardements et d'autres attaques aveugles à Gaza et en Cisjordanie, ou en raison de l'absence de soins médicaux par un système de santé effondré et sans ressources en raison du blocus israélien. Rien n'a été dit à ce sujet. 

Les organisateurs des Jeux et les autorités hôtes ont insisté sur le fait que la guerre de la Russie allait à l'encontre des principes de la Charte olympique, qui a toujours été respectée. Totalement faux ; la charte fondatrice de l'Olympisme le dit, certes, mais elle a rarement été respectée. C'est l'histoire qui le dit. 

En 1956, les Jeux olympiques ont eu lieu à Melbourne, avec le président du CIO, Avery Brundage, qualifié par beaucoup de raciste et d'antisémite, qui a favorisé et exalté le régime d'apartheid sud-africain et qui a piloté le Comité olympique pendant 20 ans. Lors des 16e Jeux olympiques de Melbourne, la France, en pleine guerre coloniale en Algérie, a été à l'honneur, comme les fois précédentes. Pas de reproches ni de sanctions. 

Mais avant cela, pendant la première guerre d'Indochine, 1946/1954, deux Olympiades ont eu lieu en 1948 et 1952, auxquelles la France a participé avec tous les honneurs, alors qu'elle était l'agresseur et l'occupant du Viêt Nam, du Laos et du Cambodge. Après la défaite historique des armées coloniales françaises à Diem Bien Phu en 1954, la guerre d'Indochine a été reprise par les États-Unis jusqu'en 1975, date à laquelle ils ont été vaincus à leur tour par l'armée vietnamienne et les guérillas du Cambodge et du Laos, soutenues par l'Union soviétique et la Chine, ainsi que par l'opinion publique américaine. Encore une fois, aux Jeux olympiques de 1956, 1960, 1964, 1968 et 1972, soit cinq Olympiades, il n'y a eu aucune sanction d'aucune sorte contre les États-Unis pour leur guerre envahissante et dévastatrice en Extrême-Orient indochinois. Seule note discordante, la protestation des trois athlètes noirs américains, champions du 200 m aux JO de Mexico en 1968, qui ont levé leurs poings gantés de noir sur le podium à la manière du mouvement Black Power pour protester contre l'absence de droits civiques aux États-Unis. Avery Brundage, qui a sanctionné deux d'entre eux en les excluant du Comité olympique américain et des installations sportives, mais sans s'attaquer à la cause de l'ignominie, le gouvernement américain, a également connu un grand succès. 

On ne peut donc pas parler de Jeux olympiques de la paix, de la fraternité et de la solidarité. Les athlètes ne sont pas tous les mêmes ; ils ont souffert des ravages de la guerre froide dans le passé, du colonialisme franco-britannique au XXe siècle et des inégalités Nord-Sud aujourd'hui. Le reconnaître est un mérite, l'affronter est une vertu. 

Les membres de la délégation du Comité olympique algérien ont organisé une cérémonie parallèle, jetant des fleurs dans la Seine en hommage aux Algériens tués et jetés dans le fleuve en 1961 alors qu'ils manifestaient pour l'indépendance de leur pays. La délégation nigérienne a fait un salut militaire en passant devant la tribune officielle où se tenait le président français Emmanuel Macron, lui rappelant que son pays n'est plus sous le parapluie colonial. Il est clair que le sport, qui, comme toutes les autres disciplines humaines, reste une arme de contrôle des masses, doit encore être décolonisé. Nous ne pouvons pas considérer les Jeux olympiques indépendamment de cela.