« Bonjour, je m'appelle François »

El papa Francisco I - PHOTO/ @Pontifex_es
Le pape François Ier - PHOTO/ @Pontifex_es
Habitués au faste et au cérémonial de vingt siècles d'histoire, les dignitaires de l'Église catholique n'ont jamais cessé d'exprimer leur surprise face à la simplicité, doublée d'une autorité morale incontestable et d'une énergie qui ne l'a quitté que dans les derniers mois très douloureux de sa vie

Réticent à l'apparence trompeuse d'une vie confinée dans les plus nobles appartements du Vatican, le pape François Ier a préféré vivre et se nourrir à la Résidence Sainte-Marthe, où il apparaissait aux yeux de tous dans la salle à manger et les salles communes. Il décrochait lui-même le téléphone pour appeler des cardinaux, des évêques ou de simples prêtres, et les laissait pétrifiés par un simple « Bonjour, c'est François ». 

Parmi les nombreux auteurs qui se sont penchés sur la biographie de Jorge Bergoglio, celui qui en a fait la synthèse la plus fine et la plus pertinente est sans doute le dominicain Timothy Radcliffe, son ami personnel : « François est un jésuite habillé en dominicain et incarné dans un franciscain ». En somme, il incarne à lui seul les trois grands ordres religieux du catholicisme, souvent opposés les uns aux autres. Et cela sans compter la prélature de l'Opus Dei, l'institut préféré de Jean-Paul II aux jésuites, en tant que conseillers et chargés des missions les plus délicates, tant doctrinales que diplomatiques. 

« Les cardinaux sont allés me chercher au bout du monde », a déclaré François lorsque le conclave l'a élu premier pape latino-américain et premier pape non européen, à l'exception du Syrien Grégoire III au VIIIe siècle. Il a ainsi poursuivi la série de papes non italiens commencée par le Polonais Jean-Paul II, suivi de l'Allemand Benoît XVI et de lui-même, un Argentin dont les parents ont réussi, non sans nombreuses difficultés, à émigrer vers une terre qui, au début du XXe siècle, osait disputer aux États-Unis la primauté mondiale en tant que grand pays de l'avenir. 

Cette conscience d'être un enfant de l'émigration a marqué l'un des grands traits du pontificat de François : la défense du droit de tout être humain à chercher librement son avenir sans être traité comme un clandestin ou un délinquant. Un message qu'il a transmis personnellement, alors qu'il était à l'article de la mort, au vice-président des États-Unis, J. D. Vance, le dernier grand dirigeant mondial qu'il a reçu en audience. 

François a tenu à souligner tout particulièrement cette facette de défenseur des migrants lors de son premier déplacement sur l'île de Lampedusa, située à quelques kilomètres de Tunisie, submergée depuis plusieurs décennies par un afflux migratoire composé non seulement d'Africains, mais aussi d'un nombre non négligeable d'Asiatiques fuyant les guerres et les misères indescriptibles de leur pays d'origine. 

L'émigration, outre le changement climatique et sa prétendue complaisance envers les dictateurs et tyrans actuels, lui ont valu de vives critiques. Nicolás Maduro, Recep Tayyip Erdogan ou Vladimir Poutine n'ont jamais fait l'objet de condamnations sévères de la part du pape François, qui n'a d'ailleurs jamais cherché à se justifier. Ceux qui se sont exprimés en son nom, en particulier sa « task force » composée de huit cardinaux, connus sous le nom de C8, ont toujours défendu l'idée que « François ne se rangera jamais du côté d'un pays contre un autre » et, par extension, d'une partie de sa population contre une autre. Une attitude qui lui vaut au moins d'être considéré et estimé comme la dernière voix pacifique sur la scène internationale, maintenant que Nelson Mandela n'est plus là, que le Dalaï Lama ne parle plus et que les prix Nobel ont perdu leur aura. 

Tout le monde ne comprend pas son message, et sa « neutralité diplomatique » est fortement critiquée, notamment dans certains conflits (Russie-Ukraine, Hamas-Israël), « pour mettre sur le même plan les agresseurs et les agressés ». Comme tous ses prédécesseurs, François quitte ce monde sans avoir jamais mis les pieds en Chine. Si les jésuites ont joué un rôle décisif dans l'expansion du catholicisme en Chine et au Japon, aucun pape n'est jamais entré à Pékin. 

Quant à l'Église catholique elle-même, Bergoglio a pris le relais d'un Razinger épuisé par les luttes intestines au sein de la Curie. Depuis son élection lors du conclave de 2013, François a fait preuve d'une grande fermeté à l'égard de ceux qui résistaient à l'abandon du faste et des apparats. S'appuyant sur quatre principes directeurs - humilité, service, proximité et compassion - Bergoglio a prôné la « théologie du peuple », la variante argentine, non marxiste, de la « théologie de la libération » latino-américaine, qui place les exclus au centre en valorisant la culture populaire. 

Il lui a fallu neuf ans pour mener à bien la réforme de la Curie romaine, concrétisée dans la constitution apostolique « Praedicate evangelium », qui a ouvert la porte aux laïcs, y compris aux femmes, pour assumer des fonctions de gouvernement et de responsabilité. Une réforme donc capitale, que François a réussi à mener à bien en partie après plusieurs décennies de tentatives de nombreux prédécesseurs sur le trône de Saint-Pierre. Le Collège cardinal qui élira son successeur est actuellement composé à 80 % de membres choisis par lui, ce qui laisse présager leur fidélité à la pensée réformatrice de François. 

Enfin, deux autres questions urgentes ont marqué tout son pontificat et lui ont valu l'incompréhension et les attaques les plus virulentes à son encontre : la pédophilie et sa défense de la vie. Concernant la première, son attitude ferme de condamnation et d'éloignement de ceux qui ont abusé de mineurs a été implacable, même si les ennemis les plus acharnés de l'Église catholique s'efforcent de diluer les mesures énergiques ordonnées par François, tout en affichant une volonté manifeste d'amplifier tout comportement inapproprié s'il est le fait d'un prêtre, tout en regardant avec une tolérance exquise les abus commis par des personnes professant d'autres croyances, surtout si elles sont politiques ou assimilées à la même tendance. 

En ce qui concerne le droit à la vie et sa condamnation de l'avortement provoqué artificiellement, François a toujours été cohérent avec l'un des piliers les plus solides de l'Église : cette défense inconditionnelle des plus vulnérables, en particulier des êtres les plus sans défense, c'est-à-dire les « nascituri ». Une position qui a déconcerté ceux qui l'ont initialement acclamé comme « un pape progressiste ». 

Ce sont probablement les mêmes qui lui ont reproché de ne pas avoir assisté à la solennelle réinauguration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, cérémonie qui, outre la reconnaissance du travail colossal de restauration réalisé par une France républicaine et laïque convaincue, a rassemblé l'élite de la classe politique mondiale. François a décliné de présider et même d'assister à un tel déploiement de faste et de grandeur, préférant se rendre à Ajaccio, la capitale de la Corse, pour y célébrer un acte de piété populaire. Ceux qui le connaissent bien ont affirmé que « cette décision était étroitement liée à sa culture familiale - et argentine - qu'il considère comme un vecteur majeur de la foi « pour reconquérir le cœur des hommes ». Une tâche supplémentaire pour celui qui succédera au 266e pape de l'Église catholique.