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De la Cuba d'Heberto Padilla à la Cuba de Josep Borrell

AFP/YAMIL LAGE - Un hombre es detenido durante una manifestación contra el Gobierno del presidente cubano Miguel Díaz-Canel en La Habana, el 11 de julio de 2021
photo_camera AFP/YAMIL LAGE - Un homme est arrêté lors d'une manifestation contre le gouvernement du président cubain Miguel Diaz-Canel à La Havane, le 11 juillet 2021.

L'Union européenne semble s'être convaincue qu'il existe des régimes politiques qui ne changeront pas et qu'elle ne peut donc pas attendre éternellement pour établir des relations plus étroites, même si cela va à l'encontre de principes qui semblaient gravés dans le marbre. Le récent voyage du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, l'a bien montré en refusant de faire le moindre geste à l'égard de l'opposition au régime castriste, y compris en exigeant la libération du millier de prisonniers politiques, dont beaucoup ont été incarcérés à la suite des manifestations qui ont vu s'élever dans toute l'île des voix réclamant tout simplement la liberté. La répression s'est encore accentuée avec l'émergence de la nouvelle lutte entre le vieil ordre libéral assimilé à l'Occident et le populisme néo-communiste qui se répand comme une marée noire dans toute l'Amérique latine.  

Les intérêts stratégiques priment donc, et il est clair que l'UE, qui aspire toujours à jouer un rôle pertinent dans le concert international, préfère accepter la réalité plutôt que de s'obstiner à défendre le sacro-saint respect des droits de l'homme, également défendu par les États-Unis, en tant que leader d'une certaine conception du monde.  

Borrell, qui peut se vanter d'avoir élevé la voix dans un passé pas si lointain contre la tyrannie de Castro, et d'être loué par ceux qui n'ont d'autre choix que la prison ou l'exil, a rejoint, aux yeux de cette même opposition, la liste des déçus. L'écrivaine Zoé Valdés le dit sans ambages : "Lorsque les Cubains parviendront à se libérer de cette tyrannie qui existe depuis plus de 64 ans, entre répression, emprisonnement, torture, exécutions, exil, misère et absence totale de libertés, nous ne devrons jamais oublier le rôle terrible joué par l'Union européenne, à de très rares exceptions près, et les socialistes espagnols, dans la volonté de nous ramener à la liberté dans notre pays".  

Presque simultanément à la visite de Borrell à Cuba, le film documentaire "El Caso Padilla" a été présenté en Espagne, mettant en lumière pour la première fois les archives classées contenant l'autocritique féroce du poète cubain Heberto Padilla. Regarder à l'écran cette atroce auto-humiliation d'un intellectuel dont l'emprisonnement avait provoqué le premier manifeste international en faveur de sa liberté est un mélange de nausée et d'incrédulité. Le poète, critique d'une révolution qui a viré au totalitarisme communiste le plus brutal, entonne une "autocritique sincère", se déclare agent contre-révolutionnaire et accuse de complicité nombre de ses collègues de la guilde des écrivains cubains, dont sa femme, réunis pour un tel auto de fe. 

C'était au printemps 1971 et il avait passé un mois entre les mains de la sécurité de l'État cubain. Son arrestation avait mobilisé l'avant-garde intellectuelle du monde entier, de Julio Cortázar à Jean-Paul Sartre, de Mario Vargas Llosa et Gabriel García Márquez à Jorge Edwards et Juan Fernández Figueroa. 

Le film documentaire réalisé par Pavel Giroud, véritable portrait de la peur, peut sembler un récit fictif contemplé aujourd'hui, à l'aube du premier quart du XXIe siècle. Heberto Padilla lui-même a pu quitter le pays et finir ses jours aux États-Unis, presque honteux de cette séance de délation au cours de laquelle le grand poète semble avoir été transformé en épave humaine.  

Pendant ce temps, Cuba et sa révolution restent immobiles, justifiant la misère généralisée d'une grande partie du peuple cubain par le blocus américain. Les concessions faites par ceux qui croyaient que le régime s'ouvrirait en échange d'une amélioration des relations commerciales ont été successivement déçues.