Les Druzes : la puissante minorité alliée d'Israël
Ces violents affrontements démontrent une fois de plus l'énorme complexité de la mosaïque ethnique et religieuse du Proche-Orient.
Commençons par dire que les Druzes forment une communauté arabe qui professe une religion monothéiste et secrète, issue de l'islam ismaélien chiite en Égypte au XIe siècle. Leur trait le plus distinctif est leur hermétisme, comme le prouve le fait qu'ils n'acceptent pas de convertis dans leurs rangs, interdisent le prosélytisme et découragent fortement les mariages en dehors de la communauté. Cependant, l'incorporation au fil des siècles d'éléments d'autres traditions religieuses - hindouisme, philosophie grecque antique, christianisme et judaïsme - a donné naissance à un système de croyances véritablement unique et complexe.
Il s'agit toutefois d'une petite communauté, comptant un peu plus d'un million d'individus, répartis entre la Syrie, le Liban, Israël et la Jordanie, auxquels il faut ajouter quelque 200 000 druzes ou descendants de druzes au Venezuela, où est né en 1965 l'actuel chef spirituel des druzes syriens, Hikmat Al-Hijri, ancien allié du président syrien déchu Bachar Al-Assad, dont il s'est toutefois désolidarisé peu avant la chute du dictateur et de son régime.
Les druzes se sont installés au Venezuela à la suite de l'émigration massive européenne de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, arguant que c'était le pays du continent américain considéré comme le plus tolérant en matière de diversité religieuse. Les descendants de ces émigrants qui sont retournés en Syrie ont fait de Sweida la « petite Venezuela », puisque 20 % de la population de cette ville est née dans ce pays et conserve même son passeport vénézuélien.
Ces liens ont favorisé des échanges intenses avec Caracas, en particulier depuis l'accession au pouvoir du président Hugo Chávez, qui s'est rendu officiellement à Sweida. De nombreux Druzes ont accédé à des postes à responsabilité dans les rangs bolivariens, le plus connu étant Tarek El-Aissami, ministre de l'Intérieur et gouverneur sous Chávez, président de Petróleos de Venezuela (Pdvsa) et vice-président économique sous Maduro. Tombé en disgrâce, il est aujourd'hui en prison, accusé de corruption par le parquet vénézuélien.
Quant à leurs relations privilégiées avec Israël, les 143 000 Druzes qui y résident ne représentent que 1,5 % de la population israélienne. Ils sont installés dans le nord du pays, dans les Hauts du Golan, en Galilée et dans la chaîne montagneuse du Carmel, avec Daliyat Al-Karmel et Yarka comme principales localités. La communauté druze se vante d'avoir conclu un « pacte de sang » avec l'État juif, à tel point que depuis 1957, les hommes druzes effectuent leur service militaire obligatoire dans les Forces de défense israéliennes (FDI). Certains d'entre eux ont atteint des grades élevés dans l'armée, la police et d'autres forces de sécurité israéliennes.
La position des 20 000 Druzes qui vivent dans les hauteurs du Golan, où ils coexistent avec environ 25 000 colons juifs, est plus nuancée. Lorsque Israël a occupé la région, ces Druzes syriens ont refusé la citoyenneté israélienne, mais ont accepté la carte de résident, indispensable pour vivre dans ce territoire occupé. Beaucoup d'entre eux, ainsi que les Druzes israéliens, ont manifesté en masse à Tel-Aviv en 2018 contre la proclamation d'Israël comme « État-nation du peuple juif », arguant que cela les reléguait au statut de citoyens de seconde zone.
Aujourd'hui, les graves affrontements qui ont éclaté à Sweida ont conduit le chef spirituel druze, Hikmat Al-Hijri, à dénoncer l'incapacité de l'actuel président provisoire de la Syrie, Ahmed Al-Sharaa, à protéger les minorités ethniques et religieuses du pays, lui rappelant son passé de terroriste et de membre d'Al-Qaïda. Al Hijri est même allé jusqu'à qualifier de « guerre d'extermination » celle menée contre eux par les Bédouins arabes en collusion avec l'armée syrienne. Al-Sharaa a réaffirmé que « la protection des minorités est un élément essentiel de son gouvernement », mais il ne mentionne plus son intention d'intégrer les hommes de ces minorités dans une armée nationale syrienne unique.
De son côté, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, proclame « l'engagement d'Israël à préserver dans le sud-ouest de la Syrie une zone démilitarisée à la frontière avec Israël, ainsi que l'obligation de protéger les Druzes locaux ». Une déclaration que rejette précisément Al-Sharaa, qui estime qu'elle viole la souveraineté de la Syrie.
Malgré leur dispersion, les Druzes se considèrent comme un peuple sans frontières, ce qu'ils encouragent en renforçant leurs relations familiales transnationales et en organisant leurs propres événements et manifestations. Outre la Syrie, et plus particulièrement dans la région de Sweida (également connue sous le nom de Jabal Al-Druze ou Montagne des Druzes), c'est au Liban que leur influence s'est le plus fait sentir, notamment à travers le Parti socialiste progressiste, le principal parti politique druze du pays.
Menacés aujourd'hui de fragmentation par les pressions antagonistes de la guerre, les Druzes ne se lassent pas de vanter leur rôle dans le tracé de la carte du Moyen-Orient et revendiquent avoir été à l'origine de « la fondation du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Palestine modernes ». Extrêmement méfiants à l'égard de la nouvelle carte qui semble se dessiner dans la région, les Druzes syriens revendiquent le maintien de leurs milices et refusent tant de rendre leurs armes que de s'intégrer dans l'armée nationale syrienne, préconisée par Al-Sharaa.