Murs, cordons sanitaires et mathématiques électorales, ou quand deux et deux ne font jamais quatre

Mais les élections françaises ont révélé de manière éclatante que la polarisation du pays, comme dans de nombreux autres pays de l'UE-27, se traduit par un sentiment de frustration et de lassitude croissantes chez ceux qui sont condamnés à la défaite par le système électoral, tout en voyant des résultats qui leur donnent mathématiquement la victoire.
Il n'aura pas fallu attendre Jean-Luc Mélenchon, leader du parti d'extrême gauche La France Insoumise (LFI), pour que le NFP revendique le poste de Premier ministre. Le Front populaire est une mosaïque hétéroclite de socialistes, de communistes, d'écologistes et de trotskistes, qui constitue le plus grand bloc de députés à l'Assemblée nationale, avec 182. Au total, un peu plus de 7 millions de voix, soit 27% des suffrages exprimés, à raison de 48 000 par siège.
En deuxième position, on trouve Ensemble, le bloc dit présidentiel, avec 6,3 millions de voix, soit 23% du total, et 168 sièges. Et déception pour le RN qui n'atteint "que" 9 millions de voix, soit 38% de l'électorat, pour un score plus que maigre et insuffisant de 143 sièges, soit à raison de 100.000 voix par siège.
Le slogan générique de "faire barrage" à l'extrême droite ignore délibérément que cette expression générique a été adoptée par plus d'un tiers des Français qui, au-delà de leur frustration personnelle, commencent à douter sérieusement du système démocratique qui ne leur donne manifestement pas les mêmes chances d'accéder légalement et légitimement au pouvoir que d'autres options.
Depuis que le syndicaliste britannique George Howell a prononcé pour la première fois l'expression "un homme, un vote" au 19ème siècle, bien qu'elle n'ait été utilisée qu'en 1964 par la Cour suprême des Etats-Unis dans l'affaire Reynolds v. Sim, les démocraties ont façonné différents systèmes électoraux afin de garantir des majorités stables et, surtout, que le pouvoir soit légitimement entre les mains des majorités, tout en respectant les minorités.
Cependant, les différents ajustements effectués dans chaque pays ont conduit à des inégalités notables et ostensibles. Le cas espagnol est paradigmatique, où les minorités nationalistes bénéficient d'une représentation d'origine constitutionnelle, mais qui, dans la pratique, en a fait la force politique la plus puissante, au point de faire dépendre le maintien au pouvoir de Pedro Sánchez de seulement sept de leurs voix.
Le Royaume-Uni lui-même manie l'"inexactitude" mathématique en n'accordant, lors des dernières élections, que cinq sièges à Reform UK de Nigel Farage pour ses 15% de voix, tout en donnant aux Libéraux Démocrates, avec 15% des voix, 71 sièges à la Chambre des communes.
L'accumulation des frustrations des électeurs "trompés" imprègne le corps électoral, au point que les instituts de sondage observent une désaffection croissante et alarmante à l'égard de la démocratie. Le CIS espagnol lui-même a constaté qu'un jeune sur quatre, âgé de 18 à 34 ans, "ne considère pas la démocratie comme préférable à d'autres formes de gouvernement".
Il s'agit là d'un démenti total de la déclaration mémorable de Churchill selon laquelle "la démocratie est le pire des systèmes politiques, à l'exclusion de tous les autres". La réalité pour les jeunes générations est que la démocratie ne garantit pas la résolution de leurs problèmes, alors qu'ils constatent que les dirigeants politiques successifs qui les gouvernent se détournent des graves problèmes généraux communs à l'ensemble de l'UE, tels que l'insécurité, l'immigration irrégulière et l'identité nationale, par exemple. Trois gigantesques éléphants dans la pièce qu'ils font semblant de ne pas voir et qui provoquent des sentiments d'impuissance chez une grande majorité de citoyens, de lassitude et de colère chez ceux qui, à force de murs et de cordons sanitaires, sont de plus en plus convaincus que, quels que soient les artifices électoraux légaux ou les tours de passe-passe, il ne leur sera jamais permis d'accéder au pouvoir et de mettre démocratiquement en œuvre leur programme.
La modération, le centrisme réfléchi, étaient garants de l'équilibre nécessaire à la stabilité et au progrès de la société. Ne pas répondre à cette attente, et encore moins prendre ouvertement le parti de l'extrémisme, même s'il a l'étiquette bénie de la gauche, c'est ouvrir la voie à une plus grande polarisation et la tentation du populisme et de la recherche de solutions alternatives à l'impuissance finira par s'imposer.
La décision risquée de Macron de convoquer des élections législatives pour masquer son échec aux élections européennes, doublée de son appel à empêcher la victoire écrasante attendue du RN, a conduit à une impasse à l'Assemblée nationale, mais avec un Front populaire comme formation la plus importante, menée par un parti radical, La France Insoumise, dont le leader, selon les termes de l'éditorial d'un journal de gauche comme Le Monde, "est directement un danger public".
Après les premiers moments d'exaltation, de soulagement, d'euphorie et de frustration, selon qui et quoi, il semble clair que les mathématiques ne sont plus ce qu'elles étaient, surtout lorsqu'elles sont manipulées par des politiciens.