Violente attaque du Premier ministre sénégalais contre la France et l’Europe

Le cadre était l'Université de Dakar, et l'occasion une conférence sur le passé, le présent et l'avenir des relations entre l'Afrique et l'Europe. Le public était composé de milliers d'étudiants enthousiastes, qui ont accueilli le discours de l'actuel homme fort du pays avec enthousiasme et même des gestes d'incitation à la vengeance. Leader du parti sénégalais des Patriotes africains pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF), Sonko était candidat à la présidence de la République, mais le précédent président, Macky Sall, son grand adversaire, l'a non seulement fait emprisonner, mais l'a également disqualifié. Il sera remplacé par son adjoint, Bassirou Diomaye Faye, lui aussi emprisonné et libéré quelques semaines avant les élections, qu'il remporte haut la main dès le premier tour. Et, comme on pouvait s'y attendre, le nouveau président a nommé le chef de son propre parti au poste de premier ministre.
Dans son long et très politique discours, Sonko a accusé le président français non seulement d'avoir été ouvertement hostile à l'opposition sénégalaise pendant le mandat de Macky Sall, mais aussi d'avoir encouragé la "répression et la persécution des dissidents", le rendant ainsi coresponsable des dizaines de morts et des centaines d'arrestations réprimées lors de toutes les manifestations contre la volonté de Macky Sall de se maintenir au pouvoir.
Ouvrant l'angle de ses accusations, Ousmane Sonko a envenimé les plaies du "colonialisme" exercé par la France, profitant de l'occasion pour reprocher à l'Europe et à l'Occident d'avoir été une partie active de ce colonialisme dans le passé, mais aussi d'avoir "soutenu dans le présent par leur silence approbateur l'incitation à la persécution et à l'exécution de Sénégalais qui n'avaient commis d'autre crime que celui d'avoir un projet politique".
Après avoir exprimé sa déception "d'avoir cru Macron lorsqu'il a présenté sa prétendue nouvelle doctrine africaine, dont l'axe serait de désavouer et de n'aider aucun régime autoritaire et corrompu", Sonko a abordé la situation actuelle des relations entre l'Élysée et le Sénégal, ainsi qu'avec les pays du Sahel.
Dans ce chapitre, le chef du gouvernement sénégalais a rappelé sa ferme opposition à ce que l'ancienne puissance coloniale, à savoir la France, "continue à gérer et à influencer de manière décisive la politique et l'économie du pays", avant de préciser que, désormais, la coopération, notamment dans les domaines monétaire et sécuritaire, ne peut être fondée que sur le respect de la souveraineté du pays.
Il a également lancé un avertissement sur la coopération militaire : "Nous devons nous demander pourquoi l'armée française bénéficie encore de bases militaires installées dans nos pays, et quel est l'impact de cette présence sur notre souveraineté et notre autonomie stratégique. Je réitère ici et maintenant la volonté du Sénégal d'être autonome, ce qui est incompatible avec la présence permanente de bases militaires étrangères".
Cette invitation plus que voilée au départ des forces armées françaises a également permis à Sonko d'exprimer sa solidarité avec les pays voisins du Sahel qui ont connu des coups d'Etat dont la première conséquence a été justement l'expulsion des forces françaises et autres, y compris espagnoles. Ainsi, concernant les bouleversements politiques survenus au Mali, au Burkina Faso et au Niger depuis 2020, le dirigeant sénégalais n'a pas non plus mâché ses mots : "Ceux qui condamnent aujourd'hui les régimes considérés comme militaires ou dictatoriaux sont néanmoins enclins à se tourner vers d'autres pays qui ne sont pas démocratiques, dès lors qu'ils ont intérêt à négocier des approvisionnements en pétrole ou en autres matières premières". En conclusion de cette partie de son discours, Sonko a disqualifié les sanctions décidées par l'UE à l'encontre de ces pays aujourd'hui dirigés par des juntes militaires, en affirmant que "nous n'abandonnerons pas nos frères du Sahel".
Enfin, pour ne rien arranger, Ouman Sonko s'en est pris à la civilisation et à la culture occidentale dans son ensemble, l'accusant de vouloir imposer ses pensées et ses coutumes, avec un accent particulier sur l'homosexualité qui, "parce qu'elle est contraire à nos valeurs traditionnelles, peut devenir un nouveau casus belli". En plus de réaffirmer que le Sénégal renforcera ses propres valeurs - l'homosexualité est punie dans le code pénal du pays d'un à cinq ans de prison - Sonko a déclaré qu'il était inacceptable pour l'ensemble du continent que les puissances occidentales conditionnent des accords commerciaux ou financiers à l'acceptation de leurs propres valeurs, "en opposition flagrante avec les nôtres".
Il est à noter que le leader de l'extrême gauche française, Jean-Luc Mélenchon, a été le témoin privilégié de la violente réquisition de Sonko, qui lui a rendu tous les honneurs, et avec lequel il a participé à une conférence de presse commune, au cours de laquelle le chef du gouvernement sénégalais a une nouvelle fois accusé la France de "stigmatiser" la religion musulmane en empêchant ses pratiquants de s'habiller comme ils le souhaitent, en référence à l'interdiction du voile islamique, considéré comme un symbole religieux.
Le discours de M. Sonko, qui a été diffusé en direct dans tout le pays et largement relayé dans toute l'Afrique, marque clairement une nouvelle étape dans les relations avec la France et l'UE. Reste à savoir si cette évolution sera positive.