Le Chemin de Saint-Jacques et l'Anneau des Giges

Double Xacobeo, cette année et l'année prochaine. Pour prendre la route et parcourir la mère de toutes les routes d'Europe, la Bibliothèque nationale d'Espagne (BNE) a inauguré une exposition unique qui, par l'explosion des affiches du début du XXe siècle, reconnecte le Chemin de Saint-Jacques avec sa tradition celtique et païenne. Cela explique en grande partie l'intérêt croissant pour le Chemin de Saint-Jacques, qui n'appartient à personne et à tous, en particulier à ceux qui, réunis sous la dénomination générique de pèlerins, entreprennent et consomment un chemin de connaissance de soi absolument personnel.
Les affiches exposées au BNE reflètent leur rétablissement. Des forces dissemblables mais mystérieusement unies convergent dans cette entreprise commune. Des artistes galiciens tels que Carlos Sobrino, Juan Luis Castelao, Carlos Maside et Camilo Díaz Baliño sauvent les mythes celtiques et médiévaux en profitant des dernières traces du romantisme du XIXe siècle. Et ils font place à un Chemin dans lequel son parcours s'inscrit comme une activité touristique. En témoignent les œuvres d'Eduardo Santonja ou d'Hipólito Hidalgo de Caviedes, qui, dès les années vingt, soi-disant heureuses, aspiraient à attirer les locaux et les étrangers avec des slogans tels que "Visitez l'Espagne" ou "L'Espagne est différente", inventés bien avant que le développementalisme franquiste ne les utilise dans ses campagnes publicitaires pour attirer le tourisme international.
Deux formidables affiches de la guerre civile et de ses suites sont exposées : l'une de 1937 de José Caballero, ami intime de Federico García Lorca et auteur de toute la trame scénique des œuvres du poète grenadin, cette dernière étant également représentée par un dessin original. L'autre, dessinée par le publiciste José Morell Macías, montre un théâtre de Santiago dans les années 1940. Elles précèdent les affiches de design et de photographie des années 1950, dans lesquelles on trouve des œuvres de José García-Ochoa, Julián Santamaría, "le magicien de Letraset", fondateur du Grupo 13, et le lauréat du Prix national Francesc Catalá-Roca.
C'est dans les années 80, les années de la Movida, que l'éclectisme post-moderne et la professionnalisation de la culture ont apporté de grands changements au Chemin de Saint-Jacques, qui est ainsi devenu un phénomène mondial. L'ancienne affiche incorporait alors des langages graphiques issus de la bande dessinée, de l'architecture, des clips vidéo, du cinéma et de la mode. C'est ce que montrent les affiches d'Ángel et Álvaro Bellido, du publiciste Luis Carballo Taboada, créateur du slogan "la ride est belle" et qui a conçu la mascotte de Pelegrín en 1993, ou de trois artistes emblématiques des années 80, qui ont produit des œuvres récentes inspirées du Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle : Ana Juan, Javier Mariscal et Ouka Leele.
Dans le cadre de l'exposition, la section Bandes dessinées jacobines profite du langage des dessinateurs actuels pour renouveler sous forme de bande dessinée les récits du Chemin, en transposant la tradition à notre époque, afin de toucher un public plus jeune, sans oublier tous les pèlerins qui parcourent toujours le Chemin de Saint-Jacques, venus des quatre coins du monde.
À l'occasion de l'inauguration de l'exposition, qui devrait se rendre dans d'autres capitales espagnoles après être passée par le BNE, son commissaire, José Tono Martínez, a présenté sa dernière œuvre, "El anillo de Giges". Las peregrinaciones heterodoxas por Santiago" (Ed. Evohé). Un hommage à Valle-Inclán et J.R.R. Tolkien et à la tradition de la bague initiée par ce berger thrace, si l'on en croit Platon.
L'auteur cherche à s'éloigner de l'image édulcorée du pèlerin ancien (et parfois moderne) comme étant pieux et saint, et se concentre surtout sur les hétérodoxes et les alchimistes, entre autres Arnau de Vilanova, Raymundo Lulio ou Nicolas Flamel, interprètes du Corps Hermétique et chercheurs de la Quintessence.
Les oubliés apparaissent aussi, les pèlerins, car chaque femme qui part en pèlerinage est une rebelle, les Béguines d'Hildegarde de Bingen, sorcières et sorciers, dépositaires d'un savoir ancien. Et aussi d'autres groupes rendus invisibles par l'histoire exemplaire du pèlerin médiéval : les garçons et les jeunes hommes, les mendiants, les précaires et le pèlerinage homosexuel caché.
L'exposition et la lecture du livre de Tono permettent de conclure que le Chemin de Saint-Jacques n'est pas un combat avec un être éternel, ou avec une géographie contingente, mais surtout un combat de soi ou contre soi-même. La carte importe peu ; le guide, moins. Et, comme l'affirme l'auteur lui-même, "il faut avant tout être très patient, car le Camino est à l'intérieur, ne l'oublions pas".
Original et également très intéressant est la fresque finale de l'exposition, un grand collage composé de photos envoyées par des milliers de pèlerins, chacun ayant sa propre vision d'un détail qui a été fixé sur leur rétine. Une contribution massive et populaire, donc, qui accentue la réalité que le Camino appartient à tous et à tous ceux qui le parcourent totalement ou partiellement dans l'un de ses tronçons qui ont déjà couvert tant de pays et de continents.