Fez invite à une réflexion sur le regard de l'autre, composante de ce qui nous est propre

"Être un espace de dialogue sur les représentations discursives de l'Espagnol et du Marocain dans les littératures des deux pays", tel est l'objectif du Colloque international sur le Maroc et l'Espagne dans leurs littératures (1980-2020), qui, comme son titre l'indique, est un colloque qui explore le regard porté sur l'autre, voisin et composante du sien, à travers les littératures respectives du Maroc et de l'Espagne. Plus d'une vingtaine d'universitaires, de critiques littéraires, de traducteurs et d'écrivains provenant de plus d'une douzaine de villes espagnoles et marocaines ont participé à ce colloque, qui s'est tenu les 4 et 5 novembre 2021 à Fès. Les articles ont été répartis en quatre tables de discussion, au sein desquelles 22 articles ont été distribués, en plus d'une conférence inaugurale.
Au début de l'événement, le Dr Khalid Lazaâre, doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Dhar Lmhraz de Fès (FLDM), a mentionné que la littérature sera réfléchie à partir des expériences partagées entre le Maroc et l'Espagne. M. Lazaâre a également encouragé toutes les personnes présentes à faire de ce colloque une tradition, qui devrait s'établir dans les années à venir. Dans le même ordre d'idées, le conseiller pour les affaires culturelles de l'ambassade d'Espagne au Royaume du Maroc, Francisco de Borja Morate Martín, a souligné le fort soutien institutionnel de l'ambassade d'Espagne à Rabat pour ces événements qui renforcent les relations hispano-marocaines et a mis en avant le travail que le département d'études hispaniques de Fès réalise dans le domaine de la perception mutuelle des Espagnols et des Marocains et la manière dont elle se reflète dans les littératures respectives. Autre point fondamental de cette séance d'ouverture, le directeur de l'Instituto Cervantes de Fès, Miguel Ángel Sanjosé Ribera, a souligné que : "la langue espagnole n'est pas une langue étrangère au Maroc, car elle l'a accompagné pendant des siècles dans ses vicissitudes historiques depuis le Moyen Âge". Il a poursuivi en expliquant que ce type d'événement d'échange interculturel est une invitation à "surmonter les vieux préjugés et stéréotypes" entre nos deux peuples. Lors de la cérémonie d'ouverture, le Dr Kamal Ennaji, directeur du département d'études hispaniques de la FLDM, représentant le comité d'organisation du colloque, a évoqué la nécessité de prendre conscience de notre responsabilité commune : "Chaque quartier impose des responsabilités et l'avenir dépend de ces responsabilités". Son intervention a donc porté sur l'importance de la littérature pour faire avancer la diplomatie culturelle.
La conférence inaugurale a été donnée par le Dr Aziz Tazi, professeur à la FLDM, qui s'est penché sur la production de la littérature marocaine en espagnol, en posant la question suivante pour sa conférence : La littérature marocaine en espagnol : une fleur d'un jour ou une chose sérieuse ? Une question qui a suscité la curiosité de l'auditoire, qui attendait une réponse claire et nette, mais la conférence a été un point de réflexion sur la littérature en question, avertissant, en guise de synthèse, que cette littérature : "Elle cessera d'être une fleur d'un jour et deviendra quelque chose de sérieux, de consolidé, de normalisé et avec des signes de continuité lorsque nous cesserons d'en parler comme d'un résidu colonial, comme d'une manifestation littéraire néocoloniale ; lorsque, en somme, nous cesserons de faire de la sociologie de la littérature et commencerons à aborder, enfin, les aspects immanents, propres aux études littéraires et stylistiques. Mais d'abord, cette littérature doit atteindre une maturité suffisante et la qualité nécessaire pour mériter ce type d'approche analytique".
Conformément à l'approche de la conférence inaugurale, la première session du colloque a été ouverte par le Dr Abrighach Mohamed, directeur du Laboratoire de recherche sur le Maroc et le monde hispanique (LIMHIS) de l'Université Ibn Zohr d'Agadir, avec une communication intitulée : "La littérature marocaine en langue espagnole est-elle coloniale ?" Le professeur Abrighach a argumenté les facteurs historiques et culturels liés à la politique coloniale conservatrice de l'Espagne au Maroc, avant de conclure que la littérature en question est : "Une littérature post-coloniale" qui a fait de l'espagnol "un signe d'identification culturelle avec l'hispanité et de résistance à double tranchant contre la francophonisation administrative, éducative et culturelle et le panarabisme idéologique doctrinaire".
Quant au Dr Aziz Amahjour, directeur du département d'études hispaniques de la faculté pluridisciplinaire de Nador, sa présentation a consisté en une réflexion sur les premiers récits de la littérature marocaine en espagnol : "La proscrita" de Abdelatif Jatib (1953) et "Sulija" de Mohamed Abdeselam Temsamani (1955), tous deux publiés dans la revue Ketama. Cette réflexion a été soutenue par l'analyse et l'étude de certains détails liés aux textes et au contexte général dans lequel ils ont été produits.
Le Dr Hassane El Arabi, de la même faculté, a été chargé d'examiner l'élément espagnol dans le roman "La couleur rouge dans le Rubik's cube" de l'écrivain Hamid El Boubkari. Pour le Dr El Arabi, le roman incarne : "La voix d'une génération qui raconte des événements encore vivants dans l'âme du fier Rifain qui a besoin de se décharger et de se confirmer en tant qu'être libre qui n'admet aucune interférence extérieure dans sa vie publique et privée".
Abderrahmane Belaaichi de l'Université d'Agadir, le Dr. Fatima Larouz, directrice du Département d'études hispaniques de Meknès, et le professeur Rubén José García Muriel, lecteur à la FLDM, ont convenu que leurs présentations ont fait du roman de Najat El Hachmi, lauréate du prix Nadal 2021, un objet d'étude et d'analyse. A travers "Fille étrangère", le professeur Belaaichi a concentré son analyse sur l'utilisation de la langue, catalane ou amazighe, qui insuffle au roman un va-et-vient entre les deux langues à la recherche soit d'un refuge (affectif) soit d'une pure exactitude lexicale et linguistique. A son tour, la professeure Larouz, depuis "Le dernier patriarche", a étudié l'utilisation de l'humour et de l'ironie comme mécanismes de transgression d'éléments culturels, politiques, religieux et sociaux préétablis dans la société, ainsi que comme dispositifs de dénonciation des tabous. Pour sa part, le professeur Rubén Muriel s'est consacré à l'étude de quelques exemples du prototype littéraire de la mère dans divers romans de l'écrivain amazigh-catalan. Les personnages principaux sont caractérisés par : "La complexité de leur origine, leur isolement dans la société d'accueil et leur capacité à être des "transmetteurs de mémoire" entre les générations".
Les trois sessions suivantes ont été consacrées à l'étude et au débat : "Le Maroc dans la littérature espagnole" ; "Langue, littérature et traduction" et "Regards sur le passé hispano-musulman". Ces sessions ont réuni des spécialistes des deux côtés du détroit de Gibraltar et leurs communications étaient intitulées : Sergio Barce Gallardo (Palma de Mallorca) : "Les Marocains comme personnages principaux de mes œuvres (narration et cinéma)", José Sarria Cuevas (Málaga) : "L'identité comme élément créatif chez les auteurs transfrontaliers et les auteurs de la frontière. Le cas de Mohamed El Morabet et Sergio Barce", Sahar Ouafqa (Fès) : "Le voyage, ou la reconstruction du passé dans le roman postmoderne. 'Un solar abandonado' (2018) en exemple", Khadija Karzazi (Mohammedia) : "Le Maroc vu par trois écrivaines espagnoles actuelles", Abderrahmane Laaouina (Rabat) : "La représentation du Maure dans Ahlán de Jerónimo López Mozo", Mohamed Ouahib (Fès) : "La inmigración ilegal en la novela Harraga de Antonio Lozano", David Fernández Vítores (Madrid) : "La presencia del español en Marruecos. Un regard vers l'avenir", Mounia Mabrouk (Fès) : "Les aspects socioculturels marocains dans l'œuvre de Juan Goytisolo : désignation, référence et traduction", Alicia Cid Gómez (Fès) : "Dans les limites du rêve. El realismo mágico de Aicha Bassry", Hassan Boutaka (Casablanca) : "Cervantes parlant marocain : El juez de los divorcios en dariŷa y amazigh (tachelhit)", Moumene Essoufi (Maroc) : "Cervantes parlant marocain : El juez de los divorcios en dariŷa y amazigh (tachelhit)". Moumene Essoufi (Oujda) : "Kabileño de Salvador López Becerra o cuando el acercamiento conduce al conocimiento del otro", Kamal Ennaji (Fès) : "El mundo andalusí en La huella de las ausencias de Miriam Palma Ceballos", Ahmed El Gamoun (Oujda) : "Al-Ándalus como espejo de las Meninas : lectura en la elegía de Hassan Aourid El suspiro del morisco", Miguel A. Moreta-Lara (Málaga) : "Damas viajeras a través del Islam", Mohamed Barrada (Fez) : "La literatura secreta de los moriscos vista desde la actualidad", et Mohamed Saadan (Rabat) : "El peligro morisco como Razón de Estado en tiempo de expulsión : la imagen manipulada de la minoría". Bien que la plupart des communications aient porté sur la littérature, il y a eu également des exposés sur la traduction, la langue espagnole au Maroc et tout ce qui concerne le regard porté sur l'autre, que ce soit par les Marocains ou les Espagnols.
De même, les organisateurs du colloque, emmenés par son coordinateur, le Dr Kamal Ennaji, ont rempli les objectifs fixés pour cet événement, qui stipulent que : "Le fond humain est le seul fondement de la raison d'être de l'identité et de l'altérité".
Il est à noter que toutes les sessions ont été enregistrées et seront bientôt disponibles sur la page YouTube de l'Instituto Cervantes de Fès, et seront également compilées et publiées par la Faculté des Arts et des Sciences Humaines Dhar Lmhraz de Fès.
*Sergio Barce Gallardo et José Sarria Cuevas n'ont pas pu assister au colloque en raison du décalage entre les dates du colloque et les vols disponibles, mais leurs articles ont été publiés dans les actes.