Mal aimé par l’ensemble de la troupe et contesté par ses pairs du commandement militaire, le chef d’Et-Major de l’armée algérienne, le général d’armée Saïd Chengriha, est sur la sellette depuis quelques temps

Algérie : Guerre et scandales au sommet

photo_camera PHOTO/AP - Saïd Chengriha supervise les manœuvres militaires de l'armée algérienne à Tindouf

Tel un éléphant dans un magasin de porcelaine, le général d’armée Saïd Chengriha, 77 ans, écrase tout sur son passage, depuis qu’il est à la tête de l’Etat-Major de l’armée algérienne en succédant, le 23 décembre 2019, au général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah décédé à la même date. 

Confondant Etat-Major et secrétariat général du ministère de la défense nationale (MDN), Saïd Chengriha a annoncé la couleur quelques jours après sa nomination à son nouveau poste. Il convoque, pour une réunion de travail tous les chefs de départements de l’Etat-Major de l’armée et les Directeurs et chefs des services centraux du MDN. Ces derniers ne relèvent nullement de son autorité. Mais, de celle du Secrétaire Général du ministère qui supplée le ministre de la défense nationale et qui n’est autre que le président de la république. 

Pour avoir osé contester timidement cette contestation des prérogatives, le général major Abdelhamid Ghris, l’ancien secrétaire général du MDN est envoyé à la prison militaire de Blida comme beaucoup d’autres de ses pairs. 

Sous la pression de quelques directeurs centraux et de ce même Abdelhamid Ghris, avant son incarcération, le président Tebboune signe un décret présidentiel fixant les prérogatives du SG du MDN.

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Des officiers généraux torturés et humiliés

Saïd Chengriha, reste imperturbable et entend s’imposer comme le seul patron de l’armée. C’est lui qui fait et défait les carrières des membres du commandement de l’institution militaire. Il limoge qui il veut et désigne aux hautes fonctions qui il veut. Souvent, le démis de ses fonctions est envoyé en prison en passant par la case « Antar», cette caserne haut lieu de la torture située à Benaknoun, sur les hauteurs d’Alger. La règle veut que chaque général, envoyé en prison, doit subir les pires humiliations à la caserne Antar dans le but de le casser moralement. On lui enfile une camisole infecte, pleine de sang et d’urine pour avoir été portée par d’autres victimes et jamais nettoyée ou lavée. Le supplicié doit oublier qu’il était général et chef militaire. Il doit se préparer, avant de franchir le portail du pénitencier, à accepter ses conditions de détention marquées par les brimades et les sévices corporels. De nombreux généraux croupissent à la prison militaire de Blida depuis plus de deux années sans avoir été encore jugés faute de charges réelles retenues à leur encontre. 

C’est le cas du général-major Othmane Tratag alias Bachir successeur du général Tewfik à la tête des services de sécurité, en septembre 2015, sous le président Bouteflika. Condamné à 15 ans de prison dans un premier temps pour un imaginaire complot contre le commandement de l’armée et contre la sécurité de l’Etat, il est relaxé une année plus tard au même titre que ses co-accusés, les généraux Tewfik et Nezzar (il était en fuite en Espagne) Saïd Bouteflika et le frère cadet du défunt président de la république.

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Un passé tumultueux lié au trafic du haschich

Avec à sa tête l’omnipotent Saïd Chengriha, l’armée algérienne a traversé et traverse encore des turbulences jamais connues auparavant et une instabilité qui a fini par agacer toute l’institution militaire. Aujourd’hui, pas un seul général ne souhaiterait pas le limogeage du chef d’Etat-Major. Il représente une véritable menace et pour les hommes et pour l’institution considéré comme la colonne vertébrale du régime. Par conséquent, c’est le régime même qui est en danger. « Il y a péril en la demeure » ne cessent de claironner, à l’adresse de Tebboune, les quelques hauts gradés qui arrivent à approcher le président de la république. 

Tenu à l’écart du fonctionnement de l’institution militaire par son puissant patron, le président Tebboune n’a de contact avec les voix discordantes qu’à travers son homme de confiance et très influent conseiller Boualem Boualem qui a ses entrées dans l’armée pour avoir dirigé pendant quelques années le centre des écoutes téléphoniques. Ce conseiller que Chengriha ne porte pas dans son cœur est la courroie de transmission entre Tebboune et les chefs militaires contestataires et c’est lui qui mène la manœuvre pour faire sauter le chef d’Etat-major. 

Ainsi, les couloirs du palais présidentiel à El-Mouradia et ceux du ministère de la défense nationale aux Tagarins, sont le théâtre d’intrigues les plus sordides auxquelles se livrent les différents clans. 

On n’hésite pas à user de tous les stratagèmes pour déloger Saïd Chengriha qui est, aujourd’hui, sur la défensive. Entre autres actions menées à son encontre la présentation de son dossier du temps où il était à la tête de la 3ème región militaire à Bechar. Un dossier dans lequel il est question de trafic de stupéfiant avec des contrebandiers de la frontière algéro-marocaine. La lecture de ce dossier lève un pan très important sur le secret de la longévité de Chengriha à la tête d’une région militaire de 2004 à 2018. Soit 14 ans. Pas moins. Un record mondial à inscrire dans le Guinness book. Et ce n’est pas le seul record au compteur de l’actuel patron de l’armée algérienne. Il est resté au grade de général-major de 2003 à 2020, soit 17 ans. 

Si Chengriha n’a nullement contesté son affectation à Bechar que beaucoup d’autres officiers à sa place considèrent comme une punition, c’est qu’il trouvait son compte selon des sources proches de lui. C’est, aussi, la même explication qui est donnée pour avoir accepté sans broncher son blocage au grade de général-major. Il a fait fortune dans le trafic du haschich en tenant en main tous les réseaux de trafic de la frontière algéro-marocaine. 

Evidemment, la sortie du dossier de Chengriha par le général Abdelaziz Chouiter, lui a valu son poste de Directeur Central de la sécurité Militaire, un passage à la caserne Antar et un accueil bien spécial à la prison militaire. 

D’ailleurs, c’est ce matin qu’il a été entendu par le juge d’instruction du tribunal militaire de Blida et placé en détention préventive.

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Le commandement militaire sous écoutes téléphoniques

Ancien responsable des services d’écoutes, Boualem Boualem ne peut faire table rase d’un passé professionnel qui lui permet, aujourd’hui, d’avoir un accès direct à l’oreille du président de la République. C’est ainsi qu’il demande au PDG de Mobilis, filiale d’Algérie-Télécom, et premier opérateur de la téléphonie mobile de communiquer à une cellule d’écoute qu’il contrôle, les numéros de téléphone des chefs militaires proches de Chengriha. Mobilis étant une entreprise étatique, tous les responsables algériens utilisent ses lignestéléphoniques. 

Comme tout le monde surveille tout le monde, le pot aux roses est découvert et le boss de Mobilis s’est trouvé il y a quelques jours dans de sales draps. 

Commandant de la gendarmerie nationale, le PDG de Mobilis, Chaouki Boukhazani est diplômé de l’École Militaire Polytechnique d’Alger, l’ex Ecole Nationale des Ingénieurs et Techniciens d’Algérie (ENITA). Titulaire d’un Post Graduation Spécialisée (PGS) en Télécommunication et Sécurité des Réseaux Informatiques, il fait ses débuts en 2011 avec la gendarmerie en tant que Développeur web. 

Il gravit les échelons au sein de l’équipe de la digitalisation de la gendarmerie nationale jusqu’à ce qu’il devienne en 2016 chef de projet « Tariki DZ », un site web / application qui permettent aux usagers de la route de s’informer sur la situation routière en temps réel. 

Chaouki Boukhazani est, ensuite, désigné pour piloter jusqu’à juillet 2019 les réseaux informatiques et du contrôle de la gendarmerie Nationale. Proche de Boualem Boualem, il intègre en octobre 2019 l’équipe de la télécommunication de Mobilis avant de se propulser à la tête du premier opérateur de la téléphonie mobile du pays. 

Arrêté et menotté par des éléments de la Direction Centrale de la sécurité de l’Armée devant le siège de son entreprise et devant le personnel de sa société Chaouki Boukhazani est embarqué à Douéra où se trouvent les locaux de la DCSA pour être entendu avant qu’il ne soit relâché sur intervention du palais d’El-Mouradia. 

Son sponsor Boualem Boualem se trouve pendant ce temps à la clinique des Glycines qui relève de la Direction Générale de la Sûreté Nationale après avoir été victime d’un AVC. Frappé d’une Interdiction de Sortie du Territoire National (ISTN) comme beaucoup de hauts responsables algériens, il n’a pas pu bénéficier d’un transfert vers l’étranger pour se soigner. 

Les prochains jours ne manqueraient pas de révéler de nouvelles intrigues et manœuvres des antagonistes d’une guerre sourde mais combien coûteuse à l’Algérie qui reste en panne depuis l’arrivée de Tebboune aux commandes du pays. Pas un seul projet de développement économique n’a vu le jour en dépit d’une enviable manne financière qui n’a servi qu’à doubler le budget militaire passé de 9 à 18 milliards de Dollars.